Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'Élysée, tout va bien, en revanche il n'en est pas de même au RPR. Il me parle du comportement suicidaire de Jacques Chirac, de sa remise en cause, dès aujourd'hui, par le groupe parlementaire. « D'ailleurs, ajoute-t-il, après la défaite de Chirac, le RPR n'a pas de chefs : Alain Peyrefitte n'est pas aimé, Yves Guéna a cautionné l'appel de Cochin. C'est trop frais !
« Le Président ne cherchait pas l'affaiblissement du RPR, ajoute-t-il. Mais les choses se sont passées ainsi. Il n'y aura pas de conséquences autres que psychologiques sur Jacques Chirac et les siens. »
Franchement, il n'a pas l'air mécontent lorsqu'il me dit (pense-t-il à ce moment à la façon dont Chirac s'est opposé à Chaban-Delmas que lui, Hunt, aimait tant, en 1974 ?) : « Il n'y a pas de solution pour Chirac. Si j'étais lui, je céderais la place et j'attendrais des jours meilleurs. La divine surprise, qui sait ? Je ne vois pas, dans l'immédiat, de rétablissement possible ! Ou Jacques Chirac prend ses distances, ou il va se marginaliser. De toute façon, le Président n'interviendra pas dans ce processus : ce serait d'ailleurs difficile, cela apparaîtrait comme de l'acharnement ! Il souhaite au contraire calmer le jeu pendant deux ans.
« Après la sorte de grossesse nerveuse qui a ébranlé le RPR, on en revient, poursuit-il, à la vérité des choses : il y a un gouvernement que dirige Raymond Barre et qu'il n'y a aucune raison de changer, et un Parlement. Le succès de Simone Veil conforte par ricochet celui de Raymond Barre. Barre se retrouve consolidé. Tandis que le Président, lui, pense qu'il a fait franchir une étape psychologique importante à l'Europe. »
Voici donc, du côté de l'Élysée, Jacques Chirac une nouvelle fois enterré. Plus que cela, même : désigné comme celui qui brouille le jeu politique français, qui le rend « décalé, répétitif, irréel ».
18 juin
Contrecoup sérieux des élections européennes, en effet, dans l'équipe de Jacques Chirac. Et d'abord le départ de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet de son état-major. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un faux départ, puisque, la semaine dernière, j'en ai longuement parlé avec Michel Debré en faisant le tour de son jardin d'Amboise. Il s'agit bien d'un froid réel entre Juillet et Chirac. « Songez, a dit Juillet l'autre jour à Michel Debré, que Chirac est allé jusqu'à me dire la semaine dernière : je ne peux pas exclure l'éventualité d'être à nouveau ministre un jour. » Enfoncée, donc, la ligne « dure » de Pierre Juillet et de Marie-France Garaud. Apparemment, Chirac pense aujourd'hui à se rapprocher de Giscard, comme s'il pensait qu'il était allé trop loin dans son opposition au président de la République.
Quant aux « barons », ils s'effondrent les uns après les autres avec un bruit mou. Chaban-Delmas parce qu'il attend une meilleure heure, Olivier Guichard parce qu'il en marre, Guéna parce qu'il a été trop impliqué, quoi qu'il en dise, par l'appel de Cochin.
Au PS, malgré le bon score européen, chacun se déchaîne également. Avec plusieurs raisons, je crois :
– parce que Mauroy, accusé d'être trop mollasson, fait front en en faisant trop ;
– ensuite parce que la présidentielle est proche et qu'il faut régler très vite le problème de la candidature.
L'Élysée, maintenant. Claude Pierre-Brossolette raconte à Roger Stéphane, vendredi soir, à quel point Chirac s'est trompé en croyant que Giscard était fragile. Il observe en même temps combien Giscard s'est trompé avec Chirac. Il indique comment la pente de Giscard, depuis l'ENA, a été de prendre auprès de lui des collaborateurs inférieurs en âge et en promotion. « C'est ainsi qu'il m'avait choisi à l'époque pour faire partie de son équipe, dit-il ; je n'appartenais pas à la même promotion que lui, mais à la promotion immédiatement suivante. Il ne voulait avoir ni ennuis ni rivalités avec les membres de son équipe. C'est pour cette raison qu'en 1974 il a choisi Chirac pour Matignon. »
19 juin
C'est donc dimanche 10 au matin qu'a eu lieu la rupture entre Juillet et Chirac. Cela prouve qu'à mon avis, cela faisait un certain temps que Chirac en avait marre de jouer les pantins. Voici deux jours que je reconstitue avec patience l'histoire des derniers mois, depuis l'appel de Cochin jusqu'au 10 juin. J'ai eu du mal, mais je crois avoir vu à peu près tout le monde en
Weitere Kostenlose Bücher