Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
une voix supplémentaire à ceux qui les animent, que ces fêtes ont été organisées.
Donc, pas de réelle mobilisation, à mon sens. Je n'en suis pas vraiment surprise : l'Europe, jusqu'à aujourd'hui, n'a jamais mobilisé les foules françaises. D'autant qu'en dehors de Michel Debré, chacun nous assure, à gauche comme à droite, européens et non-européens, qu'il ne s'agit pas d'accepter une Europe supranationale, que l'Europe ne changera rien à la façon dont la France sera gouvernée.
Paradoxe : celle qui apparaît comme le plus favorable à l'Europe, Simone Veil, ne cesse aussi de nous dire que ces élections ne changeront rien au fonctionnement actuel de l'Europe. Alors, à quoi bon ?
D'ailleurs, il me semble que partout ailleurs en Europe, c'est un peu la même chose : les Italiens ne se préoccupent que de leurs élections législatives qui ont lieu ce week-end. En Angleterre, un récent sondage a montré que 6 Anglais sur 10 ne savaient pas pourquoi ils allaient voter le 10 juin – ou plus exactement le 7, puisqu'ils votent trois jours avant nous. À vrai dire, ces élections apparaissent aux Anglais comme le dernier tour des élections législatives qui viennent, chez eux, de porter Margaret Thatcher au pouvoir.
Pas de bataille pour l'Europe non plus en Allemagne où les hommes politiques restent très préoccupés par leur élection dans les Landër. La seule chose qui change en Allemagne, c'est sans doute qu'ils sont tous, là-bas, beaucoup plus « supranationaux » que nous. Il est d'ailleurs amusant de voir que, pour une campagne qui se déroule simultanément dans les pays européens, les arguments des uns et des autres ne dépassent pas les frontières de chaque pays, et qu'on puisse envisager, de chaque côté du Rhin, deux Europes différentes sans que personne ne songe à les opposer l'une à l'autre.
Et puis ce troisième point plus spécifique à la France : décidément, le système choisi, la représentation proportionnelle, ne joue pas en faveur de l'unité de la majorité ni de celle de l'opposition. Chacun lâche ses chiens contre les autres, surtout contre son voisin immédiat. Tous les points pris par une liste le sont de préférence à la plus proche.
La compétition est interne à la majorité entre Simone Veil et Jacques Chirac. Tout a été dit, sinon par eux directement, du moins par leurs troupes. On m'a démontré par exemple que Jacques Chirac préférerait pratiquer la politique du pire, mettre les socialistes et les communistes au pouvoir, pour apparaître ensuite comme le seul recours. Jacques Chirac lui-même a lâché quelques vannes bien senties contre Raymond Barre et même contre VGE. Georges Marchais, lui, a attaqué le comportement privé de Mitterrand en parlant de l'« effondrement, » c'est son terme, du premier secrétaire du PS, au soir du premier tour de la présidentielle de 1974. Mitterrand a répondu que s'il avait vu quelqu'un d'effondré, c'était Marchais dans une autre circonstance : celle du procès qui l'a opposé au journal d'extrême droite Minute 27 . Quant à Françoise Giroud dont je parle peu, mais qui figure sur la liste que conduit J.-J. S.-S., je l'ai entendue dire en public qu'elle ferait volontiers confiance à Simone Veil pour aller au Club Méditerranée, mais pas à l'Assemblée européenne !
Tout cela n'est pas très gentil, mais me paraît directement lié au mode de scrutin. Il ne s'agit à aucun moment d'additionner des voix, mais toujours, en revanche, d'en soustraire à la liste d'à côté.
5 juin
Je pars avec Simone Veil à Nancy. J'écoute à peine ce qu'elle dit ; dans les meetings et à la télévision, la plupart des gens sont comme moi, il n'importe, elle parle avec une sorte de bon sens, de solidité, avec les mots de tout le monde, d'une voix sereine, inaltérée, claire. Le monde entier s'écroulerait, elle ne changerait ni de ton ni d'allure. Elle est elle-même face à une foule ou en privé. Elle rassure. Elle ne transporte pas, elle calme. Rien de mauvais ne saurait arriver par cette femme, peut-être parce qu'elle a triomphé du mal.
Je trouve aussi qu'elle a un sacré caractère. Apparemment, rien ne la fait sortir d'elle-même. Je ne veux pas dire que rien ne la met en colère. Je m'étais aperçue, en l'accompagnant en Israël il y a quelques années, qu'elle pouvait admonester sérieusement ses collaborateurs. Je veux dire que rien ne lui démolit l'esprit. Les applaudissements
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