Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
L'Humanité , il n'avait pas besoin de figurer au nombre des secrétaires du comité central. L'argument ne me convainc pas. Je suis persuadée qu'il s'agit d'une éviction. Mais pourquoi ? Peut-être tout simplement qu'au-delà de la ligne politique, la sienne, qui a triomphé au congrès, il incarne l'éternel rival de Georges Marchais. Il est aussi persifleur, aussi désinvolte que Marchais est massif, coloré, tonitruant. À noter aussi que tous les proches de Marchais ont été nommés ou promus à l'issue du congrès, qu'il s'agisse de Gisèle Moreau, de Maxime Gremetz ou de Francis Wurtz.
Quelle faute idéologique a commise Roland Leroy ?
Samedi, Marchais, pendant sa conférence de presse, a reconnu qu'il y avait bien deux tendances au sein du PC : « Les uns, a-t-il dit, voulaient refaire purement et simplement le Programme commun ; les autres, faire une croix sur le Parti socialiste. » En admettant que Leroy ait fait partie de la seconde catégorie, il faut sans doute comprendre que, dans un souci d'équilibre, Marchais s'est débarrassé des leaders des deux tendances, sur sa gauche et sur sa droite.
Sans doute n'obtiendrai-je jamais de réponse à ma question. Le PC reste opaque à ceux qui n'en font pas partie. Et peut-être même à ses adhérents !
15 mai
Dans son bureau (n o 7542) de l'Assemblée nationale, Yves Guéna me résume la situation : il trouve quasi névrotiques les rapports que Jacques Chirac entretient avec Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Son expression : Jacques Chirac est un formidable ordinateur qui ne marche pas sans ses deux programmateurs.
Il raconte des choses effectivement inquiétantes sur la façon dont ces deux conseillers, qui affectent de ne jamais se tromper, l'ont entraîné dans bien des défaites : ils ont tenté d'imposer Edgar Faure à la présidence de l'Assemblée nationale, c'est Chaban qui a été élu au perchoir ; au surplus, après la défaite d'Edgar, ils ont fait à Chirac le reproche d'avoir perdu la main.
Même chose pour la mise en cause de la « légitimité » de Giscard, l'autre jour. « Cela faisait cinq mois, me dit Yves Guéna, que Marie-France Garaud et Pierre Juillet parlaient de l'absence de légitimité de Giscard. Lorsque Chirac en a parlé, ils ont fait mine de lever les bras au ciel en disant qu'il s'y prenait mal ! Chirac, conclut-il, ne peut prendre son parti de rien sans les avoir consultés. »
18 mai
Meeting de Jacques Chirac à Rennes. Entre nous, en privé, dans l'avion qui nous y conduit, il m'apparaît sans illusions. Il trouve les électeurs démobilisés, en ayant ras-le-bol des hommes politiques, et estimant que l'Europe n'est pas un dossier intéressant.
« Il faut dire que le problème dépasse un peu tout le monde. Voici des années que les uns et les autres, nous entendons parler de montants compensatoires, du serpent monétaire, puis encore de la monnaie européenne, l'écu. Les électeurs ont l'impression que les problèmes économiques européens les dépassent, que la crise de l'énergie, par exemple, prend de court tous les pays européens, qui ne peuvent rien faire, rien corriger, parce que cela les dépasse.
« On nous répète, poursuit-il, que l'Europe marche bien depuis vingt-deux ans, qu'il faut aller plus loin, comme lorsqu'on monte dans un de ces énormes avions, les jumbo-jets, où l'on ne voit rien, ni le ciel, ni les nuages, ni les pilotes, où l'on confie sa vie à quelqu'un d'autre sans même envisager de s'asseoir dans le cockpit ou de prendre le manche à balai. »
Il ajoute que la campagne se déroule dans une confusion telle (dont il me semble qu'il est tout de même lui aussi responsable !) que les Français n'y comprennent pas grand-chose. Car c'est une certitude : ce scrutin de liste national éloigne l'électeur de l'élu. Et plus on éloigne l'électeur de l'élu, comme c'est le cas avec cette élection des députés européens, moins on mobilise. Les Français ne votent plus pour un candidat proche d'eux, qu'ils rencontrent dans leur circonscription ou leur département, mais pour une liste dont, au mieux, ils connaissent celui ou celle qui la mène : « Sur les 81 candidats, ils en connaissent au plus une dizaine. »
Sa conclusion, lorsque nous atterrissons : « Simone Veil et François Mitterrand répondent qu'il vaut mieux justement, face à la complexité des choses, organiser l'Europe. Les autres, comme Georges Marchais, nous disent que tout
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