Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
gauche ? »
Il rit : « La gauche ? Ça n'existe pas. Il y a le PC, depuis 1920, et les socialistes. Il n'y a pas la gauche . »
Il revient à Michel Rocard : « C'est un bon premier de seconde catégorie », me dit-il.
Je lui demande alors si Mauroy est selon lui un bon second de seconde catégorie.
« Non, me répond-il, il n'a pas les mêmes prétentions. Rocard a la prétention de penser. Or il pense gentiment, il écrit gentiment. Et, en plus, il fait beaucoup d'erreurs. »
Il continue en épiloguant sur le mot « nouveau » : « Je lis que je ne suis pas nouveau, qu'il faut faire du nouveau ! Rocard me parle des associations. Je ne suis pas contre. On dit qu'il faut élargir les catégories sociales du PS. Qui pourrait être contre ? Non, en réalité, avec Rocard, on assiste à la plus gigantesque campagne de promotion politique depuis des années ! »
Il en conclut qu'il n'y a plus de presse de gauche, et donc repense à la nécessité de créer un quotidien. Nous passons, du coup, à L'Observateur.
« Le dernier édito de Jean Daniel, nul ! ! Des propos de salon sur la gauche ! Je n'aime pas les salons, je ne suis pas mondain, constate-t-il. Je ferais mieux de l'être, peut-être ?
– Vous n'auriez pas pu tenir longtemps, lui dis-je. (Je voulais dire : aussi longtemps , mais je me suis retenue.)
– Oui, c'est vrai », constate-t-il.
Il est minuit. Il nous reste encore deux heures de voyage. « Encore un Paris-Nevers », dit-il. C'est son unité de mesure du temps.
Nous repartons sur l'élection présidentielle. Qui présenter en 1981 ? Il s'interroge tout haut : un jeune qui aurait le temps de « se faire » ? « Encore que, rêve-t-il, il y a de réelles chances de gagner, en 1981. La gauche est toujours à 46 %, la droite à 43 % ! L'élection se gagnera à la marge... »
Il reprend ses réflexions sur ceux qui sont contre lui depuis longtemps. Depuis 1974, à coup sûr, mais qui n'avaient rien osé dire. Depuis 1965 aussi, qui sait, en cherchant bien...
« Au fond, ce qu'ils ne me pardonnent pas, vous avez raison, c'est l'alliance avec les communistes. Mais un social-démocrate peut gouverner avec des communistes. La social-démocratie suédoise est alliée aux communistes, sinon, elle n'aurait d'ailleurs pas vécu. Je lis l'article de François Furet dans L'Observateur : où a-t-il pris que je n'étais pas social-démocrate ? Dans quel congrès ? Où ? J'ai fait des discours pour dire au contraire que je l'étais : le discours de Dijon, par exemple. »
Quelques minutes plus tard :
« La polémique autour de mon âge (il a 63 ans), je n'ai jamais vu cela dans les siècles précédents. La jeunesse, d'ailleurs, c'est le temps qu'on a devant soi. Un homme qui meurt à vingt ans est plus vieux que n'importe lequel d'entre nous ! »
Et puis il revient avec indignation sur sa mise en examen dans l'affaire de la radio du PS, et enrage à l'idée qu'au surplus Peyrefitte plaide qu'il n'y a nul besoin de demander la levée de l'immunité parlementaire de Mitterrand pour l'inculper puisque la descente de police et la saisie de la radio ont eu lieu pendant l'intersession : « Mais enfin, pour qui me prennent-ils ? Je n'ai pas trente ans de politique derrière moi pour rien ! Ils ne pensent tout de même pas que je vais me laisser faire sans rien dire ! Ce serait trop facile ! La levée de l'immunité est obligatoire : sinon, l'exécutif serait maître du jeu, il suffirait de faire notifier l'inculpation quand il le désire, notamment entre deux sessions du Parlement ! »
Il s'interroge à voix haute sur le « durcissement » de Valéry Giscard d'Estaing à l'égard du PS : « Est-ce parce que le Président a vu son projet d'éclatement du PS tomber à l'eau ? (D'ailleurs, ajoute-t-il, l'opération Rocard n'est peut-être pas étrangère à cela), est-ce donc la rage de n'être pas parvenu à casser le Parti, ou autre chose ? J'avoue que je ne le sais pas. »
Sur Michel Rocard encore, puisqu'il vient de prononcer son nom : « Il pourrait être Premier ministre de Giscard après 1982. Et encore ! Je ne suis pas sûr qu'il ait le cran d'accepter ! »
Puis, juste au moment où l'avion entame sa descente, il s'assoupit. Ses traits se sont accusés, sa peau est blême. Un masque mortuaire. Impressionnant !
Tout à l'heure, il m'a dit : « Je rentrais dans ma maison, à Latche, avec un grand chapeau pour me protéger du
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