Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'année dernière, a pris depuis quelque temps un cours plus heurté : l'accident d'abord, la maladie de sa fille Laurence, dont j'entends parler pour la première fois, son échec aux européennes...
26-28 septembre
Journées parlementaires du RPR, aux Arcs .
Claude Labbé ouvre la séance tandis que je m'apprête à noter ce qu'Olivier Guichard m'a confié pendant le déjeuner pris dans la grande salle de restaurant aménagée pour les journées parlementaires.
J'écoute d'abord quelques minutes Claude Labbé, et l'entends faire un formidable lapsus en disant, je cite : « Le RPR n'est pas assoupi. Le voici de nouveau s'avançant à grandes enjambées. Il lui fallait sans doute quelques épreuves pour mourir... euh, pour mûrir ! »
Bon, j'en ai assez entendu. Je note ce qu'Olivier Guichard m'a dit pendant le déjeuner. Il reste sceptique sur le départ de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet. Il ne jurerait pas que la rupture soit définitive. Croit-il à un rapprochement Giscard-Chirac ? « Ce serait logique, répond-il, mais follement antinomique. »
Logique, parce que, pour Guichard, il n'y a pas d'autre chemin pour Chirac : « Le recours suprême, le poujadisme, cela ne marchera pas. » Mais antinomique, parce que les deux hommes le sont.
Une rencontre a-t-elle eu lieu entre eux ? Guichard doit voir Giscard la semaine prochaine, il lui posera la question, me dit-il. Je lui demande si VGE aurait pu rencontrer Chirac sans lui en parler. « Et alors ! me répond-il, sans illusion. Sans le dire à personne, d'ailleurs ! »
Je l'interroge encore sur Chirac : a-t-il changé de style ? Moue dubitative de Guichard : « Peut-être, mais pour quoi faire ? Tout est là : il n'a rien dit de ce qu'il voulait faire, il n'a d'ailleurs rien fait. Difficile de juger », soupire-t-il. Bref, il n'y croit pas.
« Il a mal conduit la campagne européenne, il a bêtement abattu ses atouts. Il aurait mieux fait de prendre Giscard au mot, lorsque celui-ci a parlé de liste unique de la majorité en novembre 1978. Il n'y en aurait peut-être pas eu, de liste commune, mais mieux valait jouer cette stratégie ! »
Un député qui nous écoute risque : « Il l'a fait pour sauver le gaullisme ! »
La riposte de Guichard, pour une fois, fuse : « Quand on fait moins de 16 % des voix, on ne sauve rien ! »
Il dit encore, plus morose que jamais : « Que faire avec un président de la République qui ne veut rien tant qu'on dise du bien de lui dans L'Observateur ! »
À la tribune, pendant ce temps-là, le débat se concentre sur la politique de Raymond Barre. Jacques Marette déplore la « stagflation 39 » de la France : tout en affirmant que Barre a beau avoir des circonstances atténuantes (le prix du baril de pétrole), gouverner c'est prévoir, et il n'a rien prévu.
Philippe Séguin parle du chômage et s'indigne : « On fait croire aux Français que leur sort est entre les mains des émirs ou des ayatollahs. C'est faux, leur sort est entre leurs mains !... Nous pouvons dire, conclut-il, qu'il existe une politique de rechange. Au Parlement, nous devons, suivant les cas, travailler avec le gouvernement, et, sinon, contre lui. Il est impossible d'attendre en simples spectateurs goguenards ! »
Député des Vosges depuis un an, Philippe Séguin – c'est la première fois que je l'entends à la tribune – est un orateur extraordinaire. Un de ceux qui, comme Mitterrand, pourrait lire le Bottin téléphonique et passionner son auditoire. Il y a quelque chose d'envoûtant dans sa voix, sombre et basse. L'écouter parler est un vrai bonheur. Ceux dont je pense cela ne sont pas nombreux.
Je viens d'entendre Yves Guéna dire à quelques journalistes, dont j'étais : « Nous sommes dans un flou artistique dont nous ne sortirons que quand il se passera quelque chose. » Sur le modèle de l'ambassadeur de France dont la légende dit qu'il avait rédigé une dépêche ainsi : « La situation évolue d'heure en heure dans un sens que j'ignore. »
Il est temps de résumer ces séances :
1. Chirac est non pas contesté, mais peu cru. Personne ne sait si le « cours nouveau » est définitif ou s'il en sortira bientôt. Personne n'est certain que Marie-France et Pierre Juillet l'ont vraiment quitté.
2. Les parlementaires sont néanmoins heureux parce qu'ils trouvent que leur ligne a fini par triompher : ils n'ont jamais voulu de rupture avec Giscard, ils n'ont
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