Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
essentielles. D'abord, la majorité présidentielle actuelle gagnera les élections de 1978. Parce que, le moment venu, il pèsera de tout son poids dans la bataille électorale en appelant les Français au « bon choix » pour la France. Il prononcera à cette occasion au moins deux discours publics et une intervention à la télévision. Il croit ensuite profondément à l'unité nationale. « Après mars, répète Lecat, il faudra affirmer l'unité nationale par de nouveaux desseins, par de grandes initiatives politiques. »
Un signe de l'actuel état d'esprit de Giscard : il a clôturé le Conseil des ministres de ce matin en pesant soigneusement ses mots : « Le peuple français, a-t-il dit avec un soupçon de solennité, aime le spectacle de son unité. »
Il a raconté aux ministres qu'il avait été impressionné par la cérémonie d'hommage au soldat inconnu de la guerre d'Algérie qui a réuni autour de lui, sur la colline de Lorette, dans le Pas-de-Calais, 20 000 personnes. Pas n'importe où : dans une terre d'opposition. Toutes les autorités locales, socialistes et communistes, étaient présentes. Giscard, visiblement ravi, insiste donc, à l'issue du Conseil : dans quel pays au monde une telle cérémonie aurait-elle pu se tenir, demande-t-il autour de lui en balayant la table du Conseil du regard, dans quel autre pays aurait-on pu faire une célébration par quatre prêtres ou célébrants de quatre confessions différentes ?
Cette anecdote me convainc : je trouve cet aveu de Giscard au plus haut point significatif de son état d'esprit, pas seulement d'ailleurs parce que l'opposition de gauche affiche aujourd'hui ses divisions, mais de façon plus générale : en dépassant l'objet précis de la cérémonie du Pas-de-Calais, les ministres ont bien compris que le Président voulait souligner qu'il parlait là d'une manifestation d'unité nationale.
Même si VGE préfère se taire pour le moment – ne pas triompher trop vite, ni trop tôt –, je suis persuadée qu'il pense que les équations politiques sont en train de changer et de lui donner raison : les cartes sont bouleversées du côté de l'opposition, même si Mitterrand ne fait pas mouvement vers lui ; quant à lui, Giscard, il peut apparaître aujourd'hui comme la force la plus stable, la plus tranquille, en quelque sorte la plus naturelle.
Sa remontée dans les sondages, où il dépasse à nouveau les 50 % d'opinions favorables après être descendu au-dessous de 40 %, s'explique à mon sens de cette façon.
De ces grands préparatifs ou de ces grandes espérances, pour le moment rien ne filtre hors de l'Élysée. Le black-out est complet : pas de rencontre secrète avec les socialistes, pas de Jean François-Poncet venu assurer aux radicaux qu'ils auront, du côté de la majorité, toutes les investitures souhaitées, pas de Claude Pierre-Brossolette envoyé en mission de bons offices. Pas que je sache, en tout cas.
Jean François-Poncet, que je croise en quittant Lecat, me dit en des termes plus sibyllins la même chose :
« Valéry Giscard d'Estaing conduit sa barque comme il l'entend. C'est un coureur de fond, il a une capacité inouïe de traverser les orages. Ceux qui le disent fragile ne le connaissent pas ! Un seul homme peut ouvrir la majorité : lui. Et au moment où il aura décidé de le faire. »
20 octobre
Dans tout ce tohu-bohu, il me paraît aujourd'hui évident que Chirac peut être le perdant : les sondages montrent l'érosion constante du RPR depuis l'été. D'où la tournée qu'il vient d'effectuer en France : lorsqu'il sent le danger, il parcourt l'hexagone de fond en comble. Il en revient les mains gonflées à force d'avoir étreint celles de milliers d'inconnus.
Je ne l'ai pas suivi à Tulle ni à Metz cette semaine, pas plus qu'à Mazamet ou Grenoble la semaine dernière ; je l'ai, de façon plus banale, rencontré entre deux avions à la mairie de Paris. Non pas dans son grand bureau à l'étage, mais dans les salons du rez-de-chaussée. Effectivement, ses grandes mains avaient doublé de volume. Il me confie qu'il a parfois peur de plonger dans la foule dont il craint l'enthousiasme.
« Que faire ? dit-il. Les gaullistes, ce sont les gros bataillons, le RPR est le seul parti de la majorité qui peut rassembler les masses. Pas la peine de faire le tour de France si on ne leur dit pas bonjour ! »
En réalité, il y a autre chose dans l'intense activité qu'il
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