Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
communiste en 1965 : « Waldeck Rochet a eu tort, dit-il, c'est en 1965 que nous aurions dû déstaliniser le Parti et l'ouvrir. Nous aurions construit un parti français sur le modèle du Parti communiste italien, c'est cela qu'il fallait faire !
– Peut-être, lui répond Robrieux. Le pauvre Waldeck a bien essayé de déstaliniser le Parti, mais il en a été empêché, car il a été bloqué de l'intérieur : c'est Waldeck lui-même qui me l'a dit, et son principal assistant, Charles Fiterman, me l'a confirmé. Je l'ai écrit dans mon livre qui vient de sortir. »
Curieux homme que ce Robrieux. Il n'a pas encore 40 ans et pourtant une grande connaissance des communistes : il paraît qu'il a été le « chouchou » de Thorez et de Jeannette Vermeersch (c'est le terme – désuet et enfantin – que j'ai entendu utiliser lorsque j'ai voulu savoir auprès de certains communistes qui il était). Il a donc eu un début de parcours en fanfare au PC, puisqu'il a été secrétaire général de l'Union des étudiants communistes en 1959, à 23 ans. Et puis, dès 1961, en désaccord avec la direction sur la conduite de la lutte contre la guerre en Algérie, il a été compromis dans l'affaire Servin-Casanova, dénoncé et remis à la base, selon l'expression cruelle qui a cours à la direction du PC.
Il a écrit dans le détail toute son aventure, ascension et dégringolade dans la sacro-sainte hiérarchie, en juillet dernier, dans un livre passionnant, Notre génération communiste . Il a fini par démissionner et il compte bien continuer à écrire sur ses anciens camarades, sur Marchais surtout, quelques pages, me dit-il, qui ne passeront pas inaperçues. Nous prenons rendez-vous pour qu'il me réserve, le moment venu, ses bonnes feuilles !
En attendant, Elleinstein et lui me font longuement le récit des rapports du couple Marchais-Leroy depuis qu'ils les connaissent, en les opposant systématiquement l'un à l'autre. L'antagonisme entre les deux hommes remonte à 1969. Ils sont alors, depuis 1965, les assistants silencieux de Waldeck Rochet qui a choisi, lui, de soutenir la candidature unique de François Mitterrand à la présidentielle. Qui a refusé, en mai 1968, l'aventurisme gauchiste. Qui est également allé supplier les Soviétiques, en juillet 1968, de ne pas envahir la Tchécoslovaquie.
Lorsque Waldeck Rochet, terrassé par ces combats, a sombré dans la maladie cérébrale, Leroy et Marchais se sont trouvés sur la même ligne pour la succession. À l'actif de Leroy, son intelligence, son passé de résistant. Marchais, lui, n'a jamais été résistant : au point qu'aujourd'hui encore, il est attaqué à propos d'une sombre histoire de STO sur laquelle, du reste, Robrieux me dit qu'il reviendra dans le livre qu'il prépare. Il a adhéré tardivement au PC où il a d'emblée bénéficié du soutien de Thorez et de Jeannette Vermeersch, et suivi un cursus honorum classique, plus lent que celui de Leroy.
Robrieux m'assure que la stratégie des deux hommes a été, dans les années 1970, radicalement différente. Leroy pensait à un parti déstalinisé, plus ouvert, aux structures dépoussiérées. À condition que cette ouverture se passe à son profit, après, s'il le fallait, cassure du Parti socialiste. C'était possible en 1970 : la SFIO sortait laminée de l'élection présidentielle de 1969.
Georges Marchais est moins imaginatif ; il se prononce cette année-là pour la stratégie plus classique de l'union de la gauche, qu'il juge sans risque : le PC reste lui-même en faisant un bout de chemin avec un partenaire qu'il pense devoir être moins puissant, et le rester.
Dans cette lutte, c'est Georges Marchais qui a gagné. Les deux hommes sont toujours parvenus à taire – en public, au moins – leurs divergences. Toujours, à une exception près : la seule fois où ils se sont affrontés en plein bureau politique, c'était en mai 1968, lorsque Georges Marchais écrit cet éditorial effroyable contre Cohn-Bendit, cet « anarchiste allemand ». Roland Leroy, alors responsable des intellectuels et des jeunes, a déclaré avoir trouvé « honteuse » cette prise de position de Marchais.
Il est donc naturel qu'aujourd'hui que l'union de la gauche est dans le trou, que le PC se retrouve en fait, selon lui, la première victime du Parti socialiste aux yeux des Français, Leroy remonte en première ligne.
25 octobre, 17 heures
Longue conversation téléphonique avec
Weitere Kostenlose Bücher