Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
combat ».
Puis sa voix monte : en quelques minutes, voilà que Roland Leroy se transforme en grand inquisiteur, celui qu'il est devenu dans le Parti depuis la fin septembre.
Je pourrais écrire tout un roman sur le personnage de Roland Leroy – en partant de ce que j'imagine et de ce que me disent ses adversaires plus qu'avec ce que j'en sais vraiment. Directeur de L'Humanité , secrétaire du comité central, député de Seine-Maritime depuis 1956 avec une seule éclipse, il a été résistant à 14 ans, a adhéré au Parti à 16. C'est un être à part dans le PC. Cheveux fous, visage aigu et racé, volontiers persifleur, se moquant de tous et à l'occasion de lui-même, tour à tour souriant et charmeur, agressif et tendu, il a l'art de se fondre dans l'obscurité du Parti quand les choses ne tournent pas bien, et de se porter au front quand il lui semble que les faits lui donnent raison.
Son ascension a été, dans les années 1950, fulgurante : secrétaire fédéral de Seine-Maritime, élu au comité central et au Parlement à 30 ans, secrétaire du comité central, puis membre du bureau politique, il est devenu, avec l'aide d'Aragon, l'intellectuel du Parti. Il est aussi vif que Paul Laurent et Charles Fiterman sont lents. Aussi savant sur les dogmes du communisme que Georges Marchais paraît les ignorer.
Je reviens sur la conférence de presse où, après Piquet, il s'arrête de ricaner avec Georges Gosnat pour répondre aux questions des journalistes, ce qu'il fait avec vivacité, pour ne pas dire avec pugnacité.
On lui demande si, comme l'a dit Europe 1, certaines cellules, en désaccord avec la rupture, auraient refusé de distribuer L'Huma-dimanche .
Faux, répond-il, arguant qu'il a demandé au journaliste d'Europe 1 de venir un prochain dimanche assister sur le terrain à la vente de l'hebdomadaire communiste.
Le quotidien communiste ouvrira-t-il un débat interne sur la rupture ? Net refus de Leroy : pas question d'ouvrir un débat dans L'Huma remettant en cause le XXII e Congrès. « Je comprends, persifle-t-il, que l'unité soit incompréhensible pour certains qui voudraient voir des tendances diviser le Parti communiste, mais c'est un fait politique auquel il faudra s'habituer. »
À bon entendeur, salut ! Le PC n'est pas le PS, les tendances ne s'y revendiquent pas. Mais elles existent bel et bien. Elles doivent être d'ailleurs plus nombreuses que je ne l'imagine : les divergences sur le Programme commun, sur l'unité de la gauche, doivent se doubler de solides inimitiés personnelles sur lesquelles, du reste, je ne sais rien. Que Leroy n'aime pas Marchais, c'est sûr, mais sur quels points sont-ils en désaccord ? Parfois c'est Marchais qui paraît stalinien, mais n'est-ce pas davantage une apparence, parce que c'est une grande gueule gouailleuse, alors que Leroy est tout le contraire, malgré son origine sociale au moins aussi populaire que celle de Marchais ? À d'autres moments – aujourd'hui, par exemple –, c'est Roland Leroy le stalinien, qui semble prendre son parti de la rupture de la gauche et même en avoir été le moteur. Comme lorsqu'il prend à partie Pierre Mauroy, accusé d'avoir prononcé à Versailles, à l'occasion d'une réunion « clôturée par le Premier ministre », un langage proeuropéen qui « tourne le dos au Programme commun ».
Quant au manifeste pour l'union de la gauche lancé par Jean Bruhat et Jean Elleinstein pour le PC, par Debray et Poulantzas du côté socialiste, et signé conjointement par des intellectuels communistes et socialistes, réponse de Leroy : la direction du Parti n'en savait rien, elle n'avait pas été informée, voilà tout. Les intellectuels sont libres, que va-t-on imaginer ?
Pourtant, il ne s'agit pas d'une petite chose, ni de signataires de second plan. Parmi les non-communistes, les écrivains René-Victor Pilhes, Marie Cardinal, Claude Mauriac, Jean-Pierre Faye et même le philosophe Jankélévitch l'ont signé. Ce sont les réalisateurs Stellio Lorenzi, Marcel Bluwal, l'écrivain Gilles Perrault qui sont en tête de la liste communiste.
Démonstration que Leroy était dans le coup, contrairement à ce qu'il nous dit lors de cette conférence de presse : c'est lui qui a ordonné aux intellectuels communistes hésitants de ne pas signer cette pétition.
25 octobre, 13 heures
Conversation entre Philippe Robrieux 22 et Jean Elleinstein au journal. Elleinstein revient sur la stratégie du Parti
Weitere Kostenlose Bücher