Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Jean-Jacques Servan-Schreiber. Une fois de plus, son analyse est lumineuse, même si son action politique est le plus souvent ambiguë. Il pense que Mitterrand n'est pas mort après la rupture de septembre. Et que Jacques Chirac ne l'est pas davantage. « C'est un formidable organisateur, me dit-il. Je l'ai vu faire en Meurthe-et-Moselle, en Moselle ; l'organisation du RPR est parfaite, Chirac est un véritable professionnel ; de ce point de vue, j'ai beaucoup d'admiration pour lui. »
Et Mitterrand ? Jean-Jacques pense, contrairement à l'ensemble de la classe politique, que la rupture avec le PC lui confère au contraire un statut particulier : « J'étais hostile au Programme commun, me dit-il, je trouve qu'en ce moment François Mitterrand, avec un Parti socialiste fort et libéré du PC, tient peut-être la victoire dans ses mains.
« Quant à Giscard, ajoute-t-il, de quoi se réjouirait-il ? Ce n'est pas lui qui a mis un terme à l'union de la gauche, c'est Marchais qui l'a assassinée. Il n'y a pas de quoi se vanter ! »
Il termine curieusement par : « Non, finalement, l'homme dont je me sens le plus proche, c'est Michel Debré. Je ne sais pas très bien ce qu'il veut faire, mais, en tout cas, il dit qu'il faut faire autre chose ! »
26 octobre
Dîner avec André Chadeau, devenu, après son passage au cabinet de Jacques Chaban-Delmas en 1969, préfet du Nord où il parvient, dans un territoire tenu par la gauche, à ne pas avoir trop de mal à entretenir des relations convenables, disons, avec Pierre Mauroy et les siens.
Il pense, et me le dit, que Pierre Mauroy est en train de trahir François Mitterrand. Trahir, diable ! Pourquoi ? Parce que, me dit-il, Mauroy aurait été choqué, pour ne pas dire meurtri par l'attitude de François Mitterrand à Nantes 23 , lui interdisant de prononcer un discours en faveur d'une synthèse générale et d'un œcuménisme parfait. Je ne l'avais pas su, à l'époque, et Mauroy avait gardé pour lui ses états d'âme. Toujours est-il que son « unanimisme » (la volonté de synthèse entre des points de vue le plus souvent difficilement compatibles, dont Guy Mollet fut le maître à la SFIO pendant des années) a été heurté par le parti pris de François Mitterrand d'une franche cassure avec toute une partie de la gauche du PS, avec le Ceres au premier chef.
Depuis ce moment, Mauroy se sent en décalage constant avec Mitterrand : il pense que ce dernier, finalement, ne voulait pas de la signature d'un accord avec le Parti communiste, qu'il a autant provoqué la rupture qu'il l'a subie. Pierre Mauroy viserait-il la succession de Mitterrand à la tête du Parti socialiste après les élections de 1978 ?
Autre révélation : Raymond Barre avait dit à Chadeau, le 8 juillet – il a noté la date à l'époque : « Vous verrez, le Programme commun ne sera pas signé ! »
Il semblerait, précision ahurissante, que ce soit Edward Gierek 24 , Premier ministre polonais, qui en ait parlé avec Giscard pendant son dernier voyage à Paris, et qu'il ait notamment assuré au Président – en juillet, donc – que le PC français allait se « durcir » et refuser in extremis de signer. Extraordinaire : c'est par le chef d'une démocratie populaire que Giscard aurait appris qu'il risquait de ne pas y avoir d'accord au sein de la gauche !
3 novembre
Dans le même ordre d'idées que la conversation avec André Chadeau sur Edward Gierek, Gennesseaux (le radical de gauche) raconte à Danièle Molho 25 qu'en voyage avec Maurice Faure à Moscou en juillet dernier, ils avaient rencontré le journaliste de L'Humanité Jean Le Lagadec. Celui-ci leur avait dit dans un accès de sincérité : « L'eurocommunisme, nous ne le supporterons jamais. S'il s'agit de définir un mode spécifique d'accession au socialisme, oui. S'il s'agit en revanche de faire partout une campagne pour les libertés et la démocratie en démontrant que ni les unes ni l'autre n'existent en Russie soviétique, alors non ! »
5 novembre
Au Palais des Congrès de Versailles, Michel Debré, Alexandre Sanguinetti, Burin des Roziers, l'ancien secrétaire général de l'Élysée du temps de De Gaulle, se retrouvent avec des hommes de gauche (Robert Dabezies, Georges Montaron de Témoignage chrétien ) pour condamner le retour de la CED 26 . Pourquoi aujourd'hui ? Parce qu'il est question d'élire les députés de la future Assemblée européenne au suffrage
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