Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
respect de l'individu, qui n'empêche pas de traquer les injustices, les privilèges, les inégalités ! »
Suivent de belles phrases sur la fiévreuse attente que manifeste le pays pour une nouvelle gauche « libre, sincère », pour une nouvelle espérance, pour un avenir radieux.
Au-delà de ces grands mots, les radicaux vont-ils persister dans leur désir de présenter leur président, le maire de La Rochelle, Michel Crépeau, à la présidentielle ? Dans cet espoir, le congrès déroule devant lui un véritable tapis rouge lorsque Maurice Faure intervient pour tenter de ramener les délégués à la raison. Il le fait avec une autorité sur ce parti qui diminue de jour en jour. Je ne l'ai jamais vu s'opposer ainsi à un auditoire hostile, composé en grande partie de gens qui ont été ou sont toujours ses amis, et qui sont aujourd'hui prêts à le déchirer à belles dents. Tout cela pour faire un petit tour dans la course présidentielle.
Il n'est pas, en politique, le plus courageux des hommes. Aujourd'hui, il choisit de faire front, tant il sent venir une déroute inutile. Las, Maurice Faure a beau démontrer que les résultats ne seraient pas faramineux pour le Parti radical, que la candidature de Michel Crépeau ferait davantage la preuve de son impuissance politique que de la force éternelle du radicalisme, son discours tombe dans un puits profond. Il n'en a pas l'habitude. Brutalement, il renonce à une mise en garde qu'il sait inutile, à voir l'atonie de ceux auxquels il s'adresse, et il achève son propos d'une phrase abrupte :
« Michel Crépeau croit sa candidature nécessaire. Ce que je crois, c'est qu'il se trompe sur ce point précis. Je pense le contraire. »
Michel Crépeau est désigné en fin d'après-midi par 80 % des membres du congrès.
2 mars
Ça y est, le suspense qui n'en était pas un est terminé : depuis l'Élysée, Giscard vient d'annoncer sa candidature, à 19 heures, par une déclaration de candidature de huit minutes. Il a choisi la mise en scène que le général de Gaulle avait adoptée avant lui dans la même circonstance, le 4 novembre 1965. Et la même dramatisation : ou bien un « oui franc et massif », comme avait dit le Général, et la France prend un élan nouveau ; ou elle cède à son mauvais démon – et ce mauvais démon-là n'a pas changé, c'est bien de François Mitterrand qu'il s'agit.
3 mars
Tous les acteurs sont désormais en scène.
Jean-Philippe Lecat me reçoit, accompagné d'une jolie jeune femme brune et vive qui l'assistera dans sa tâche pendant la campagne de Giscard : Véronique Cayla. Il la regarde comme Rodrigue regardait Chimène, mais elle feint de ne pas s'en apercevoir.
Pour l'heure, Lecat est plus que confiant. La campagne de Giscard, selon lui, commence sous les meilleurs auspices. Chirac, qui a choisi de faire une campagne de droite, libérale, rejette Valéry Giscard d'Estaing vers le centre. C'est exactement ce que voulait le Président, qui craignait que sept ans de pouvoir l'aient éloigné de sa position stratégique initiale : la France « doit être gouvernée au centre ». Le conservatisme de Jacques Chirac, me dit Lecat, fait apparaître Giscard, par contraste, comme plus ouvert, réformateur.
« Jacques Chirac s'est enfermé à droite beaucoup plus que ne l'était Chaban-Delmas en 1974. C'est inespéré ! Nous allons pouvoir expliquer la différence entre l'électorat de Chirac et le nôtre. De ce point de vue, Giscard va être aidé par l'échec de Margaret Thatcher dont la politique a aggravé le chômage et dont le conflit avec les syndicats radicalise le pays. »
Il insiste sur la politique étrangère : selon lui, Chirac s'est « reaganisé », comme Thatcher précisément ; il est hostile à la construction européenne, il livre l'Allemagne fédérale à la solitude.
Quant à l'attitude de Mitterrand, elle paraît très dangereuse à Jean-Philippe Lecat : « Il ne parle pas des communistes, il les piétine. Après quoi, comme il a besoin de leurs voix pour être élu, il essaiera de s'engager dans une opération séduction pour les rouler. Irresponsable, non ?
« Croyez-moi, conclut-il, tout cela cassera, à un moment ou à un autre. Un Président qui s'adresse au centre, un François Mitterrand qui n'a pas réglé intellectuellement le problème communiste, un Jacques Chirac qui regarde à droite : c'est l'équation idéale pour Giscard. »
La candidature officielle
Weitere Kostenlose Bücher