Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
L'Humanité . Il me dit qu'il s'ennuie, que la campagne l'ennuie, que tout le monde s'essouffle. Parle-t-il pour Marchais ? Il m'assure que non. Alors, pour qui ? Pour Mitterrand ?
31 mars
Me voici, avec Chirac, sur le départ pour Dole et Besançon. Charles Pasqua est du déplacement.
Aujourd'hui, Chirac est tout sourire. Il sourit davantage encore lorsqu'il assaisonne Giscard de quelques phrases bien senties dans l'avion qui nous conduit à l'aéroport de Besançon. Charles Pasqua trouve que Chirac se sent de mieux en mieux, dans les meetings. Il raconte qu'à Grenoble, il y a deux ou trois jours, il s'est lancé dans une improvisation à propos de l'autoroute, que les Grenoblois attendent toujours, tirade complètement hors sujet qui, néanmoins, par son éloquence, a laissé auditeurs et accompagnateurs sans voix.
À l'arrivée, Lhomond, le chauffeur de Jacques Chirac, nous attend au pied de l'appareil : depuis son accident, Chirac ne veut plus laisser sa sécurité aux mains d'un conducteur qu'il ne connaît pas. Ainsi Lhomond le rejoint-il en voiture quelques heures auparavant, en roulant la nuit le plus souvent, et attend-il l'arrivée du jet privé qui conduit Chirac à destination.
Je trouve que l'atmosphère autour de lui a changé depuis Marseille. Un public plus populaire, plus enthousiaste aussi, qui l'interrompt par des clameurs : « On va gagner ! » ou qui scande son nom : « Chirac ! Chirac ! » L'organisation est parfaite, contrairement à ce que j'ai pu constater à l'occasion du déplacement de Mitterrand à Amiens. Ici les affiches Chirac couvrent tout le département. Celles de Giscard sont présentes, plus discrètement. Aucune affiche socialiste.
Dans la voiture, entre Dole et Besançon, Charles Pasqua me livre plusieurs éléments d'analyse : « La chance a tourné pour Giscard, me dit-il. Il est lâché par le cœur de son électorat. Le ras-le-bol vis-à-vis de lui est considérable. Il est dans un véritable état de désamour. Donc, au soir du premier tour, il y aura des pleurs et des grincements de dents : pas chez nous, chez lui ! » Il est redevenu optimiste : « Notre campagne a marqué un palier à la mi-mars. Nous reprenons, maintenant. »
D'ailleurs, Chirac m'a dit tout à l'heure que, selon Jérôme Jaffré, de la Sofres, 6 à 9 % de l'électorat de Giscard était prêt à voter pour lui. Toute la question est évidemment de savoir si c'est 6 ou 9 %.
L'organisation Chirac est très ramassée, une dizaine d'hommes, pas plus : Jean Méo, Alain Juppé pour les dossiers à préparer, Messmer et Toubon pour le tout-venant, Pasqua pour les meetings.
Pasqua assure que l'état-major de Giscard et celui de l'UDF ont eu tendance à écouter leurs conseillers en marketing : ceux-ci ont plaidé qu'il fallait mettre de la distance entre l'UDF et le candidat-Président. Giscard a donc placé l'UDF en vacances. Lecanuet, Jacques Blanc, Michel Pinton ont été privés de sorties, de meetings. Les militants se sont démobilisés en même temps qu'eux.
Pasqua continue : « Si, en avril, au premier tour, nous nous retrouvons dans le schéma Giscard/Mitterrand, Giscard sera battu : il aura contre lui au deuxième tour 70 % des voix communistes et 25 % des voix de Jacques Chirac. » Sa conclusion : « De toute façon, la solution est entre nos mains. Si nous ne gagnons pas, nous serons incontournables pour les législatives qui suivront. Giscard a été d'une maladresse insigne avec nous, et il continue ! »
Pasqua ne se berce pas d'illusions : lorsqu'il ne se laisse pas emporter par son optimisme, il révèle le vrai calcul de Chirac. Pour lui, il est moins question de gagner la présidentielle que de survivre à Giscard, à moins qu'il ne finisse par lui être indispensable...
Je ne sais pas comment la conversation en est venue sur le cas de Maurice Arreckx, maire UDF de Toulon, que connaît bien Pasqua. « Vous verrez qu'il se ralliera à Chirac, m'assure-t-il. J'ai déjeuné avec lui, l'autre jour. À la fin du déjeuner, il s'est étonné de ce que je ne lui demande rien. “Non, rien”, lui ai-je répondu. “Les autres me demandent de rester avec eux, a-t-il protesté. Et vous, rien ?” “Je ne vous demande rien, lui a dit Pasqua. Vous n'êtes plus à l'aise chez les giscardiens. Vous savez bien que vous n'êtes pas dans le sérail, que vous êtes toléré, pas aimé. Si vous restez à l'UDF, tant pis pour vous. Mais je crois que vous
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