Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
de sa voix lorsqu'il évoque la dernière rencontre de Giscard avec Leonid Brejnev à Varsovie. Il dépeint avec une ironie amère, une indignation faussement contenue, le Président français s'en allant rencontrer Leonid Brejnev en Pologne à l'instar d'un « petit télégraphiste » passant sous les fourches caudines soviétiques.
Le quotidien russe la Pravda a publié aujourd'hui, paraît-il, un commentaire laudateur sur le Président sortant. « Il fallait bien que le voyage à Varsovie reçoive un salaire ! » réplique-t-il. Il ajoute : « La Pravda peut être contente de M. Giscard d'Estaing ! »
Il sait sans doute ce qu'il fait : il y a quelques mois, toute une partie de la droite française a été choquée par cette rencontre inédite entre le numéro 1 russe et le Français. Pas les gaullistes, à qui le Général en avait fait voir bien d'autres. C'est plutôt la droite giscardienne, celle des Républicains indépendants, qui avait été prise à contre-pied. Et voilà que des mois plus tard, Mitterrand ressort Varsovie de son chapeau. De bonne guerre ? De guerre, tout court !
Pour lui, il est évident qu'un duel à mort commence. « Le moment est venu du changement, résume-t-il. Sept ans, c'est déjà bien long ! »
Son plus grand échec ? lui demande-t-on. D'avoir mis si longtemps à convaincre les Français (encore n'est-il pas sûr, à l'heure où il parle, de l'avoir fait !).
Sa plus grande réussite ? L'unification du Parti socialiste.
Quant aux communistes, comment dire, Mitterrand a l'air d'être plus libre vis-à-vis d'eux qu'il ne l'a jamais été, essentiellement parce qu'il n'est pas empêtré dans d'interminables négociations, dans l'élaboration ligne à ligne d'un programme commun auquel il n'a jamais vraiment cru. La phrase qu'il a employée au cours de l'émission : « Il n'est ni juste ni raisonnable d'envisager que des ministres communistes entrent au gouvernement tant que leur ligne restera la même ! »
17 mars
Intervention de Raymond Barre à la télévision. Il ne lui faut pas longtemps pour lâcher : « J'ai été révolté par les propos de Mitterrand, hier. »
Il fait évidemment allusion à la phrase sur le « petit télégraphiste », qui a déclenché aujourd'hui une incroyable levée de boucliers. Barre met ce soir le point d'orgue à la bagarre du jour !
Je n'ai pas pour habitude d'être tendre avec lui. Ce soir, exceptionnellement, il se montre plus prudent, il ne fait pas étalage de son aversion pour le microcosme. Il parle de son souci de ne pas voir désindustrialiser la France, de ne pas détruire le tissu des relations sociales conventionnelles dans ce pays.
Pourtant, il revient vite sur la sortie de Mitterrand : « Les Français ne sont pas impressionnés par le dénigrement systématique de la France à l'intérieur et à l'étranger. La France est respectée, il faut que les Français le sachent ! »
Barre n'est pas un homme politique habitué des coups tordus. Il est sincèrement indigné : du coup, il défend Giscard comme je ne l'ai pas entendu le faire depuis plusieurs mois. Il a eu cette phrase, au début, que j'ai trouvée presque sympathique : il n'a pas d'« exhibitionnisme du cœur ».
Voilà. Le « petit télégraphiste » a fait couler beaucoup d'encre aujourd'hui. Cela continuera, j'en suis sûre. Je trouve l'attaque assez médiocre. Il n'empêche : j'en ai ri toute la journée.
20 mars
Coup de téléphone de Mitterrand, ce matin. Ravi de son effet, il me demande comment je l'ai trouvé, à la télévision, et, sans attendre une réponse très approfondie, me dit qu'après tout, « l'émission ne s'est pas trop mal passée ! ».
Je le sais très méfiant – depuis 1968 ! – vis-à-vis de la télévision. D'ailleurs, me confie-t-il, il a beaucoup travaillé son « Cartes sur table ». Quand cela ? Il était en déplacement à Chartres et à Orléans le jour même. « Je me suis imposé un long silence depuis quatre mois, et une réflexion de quatre mois. C'est dans ma tête que je l'ai préparée, cette émission ! »
Il ne peut s'empêcher, tant il jubile, de revenir sur « le petit télégraphiste » : « C'était rude, mais je l'ai dit gentiment, non ? Alors, sur le plateau, nul n'y a prêté attention. C'est pour cela que personne n'est arrivé à en faire une affaire du tonnerre ! »
Qu'est-ce qu'il lui faut !
Il rit : « Vous n'avez pas entendu Jean-Philippe
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