Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
député-maire socialiste d'Alfortville. Ce sont ses accompagnateurs personnels qu'il a choisis hors des troupes habituelles et des militants du PS généralement préposés à la campagne politique.
Par le style aussi les hommes sont différents : François Mitterrand met d'emblée une vraie distance avec la foule. Peu de gens le tutoient ou osent l'appeler « camarade ». Moins encore se jettent à son cou. En ces circonstances, il n'aime pas manger, déteste s'attarder à table, ne boit que de l'eau. Son côté frugal surprend et, pour dire le vrai, choque presque les élus locaux, navrés de voir les journalistes et les militants ravager des buffets soigneusement agencés, auxquels Mitterrand ne touche pas.
En revanche, qui n'a pas vu Jacques Chirac dévorer, lors d'une halte, n'a rien vu. Il y a chez lui une sorte d'ogre buveur de bière et amateur de bonne chère qui ravit restaurateurs et amis. À moins qu'il ne se mette, sur le coup de minuit, après le dernier meeting, à chercher un bistrot ouvert dans un petit village d'Alsace ou aux alentours de Roubaix-Tourcoing. Je me rappelle même l'avoir vu, il y a quelques semaines, s'adresser à des gendarmes, remontés dans leur fourgonnette à une heure du matin, pour leur demander une baguette de pain et du jambon. Embarrassé, le capitaine de gendarmerie a dit qu'il n'avait pas le droit de garder de la nourriture à bord.
Meeting à 20 h 30 pile pour Giscard, 21 heures pile pour Jacques Chirac et Georges Marchais. Chez François Mitterrand, les horaires sont élastiques : Roger Hanin a mis au point, de 21 heures à 22 heures, la partie spectacle, avec le plus souvent Pierre Douglas et Daniel Balavoine. Le spectacle précède l'arrivée du candidat, et sa longueur varie au gré de son retard.
Michel Debré affectionne le style conférence. Marie-France Garaud anime des dîners-débats provinciaux. Michel Crépeau fait peu de meetings : il se déplace à travers la France en choisissant ses restaurants ; tradition radicale oblige : cèpes et foie gras sont au rendez-vous.
Ce qui est certain, c'est qu'il y a beaucoup de monde dans les réunions publiques : des stades remplis, des salles bondées.
Si je faisais aujourd'hui un bilan des différentes campagnes, je dirais que Jacques Chirac a mené, depuis le début, la campagne la plus offensive, et, j'ajoute, la plus sympathique, avec plongeon dans les foules massées sur son passage, poignées de main, petits enfants embrassés.
Georges Marchais a mené la plus longue, la plus régulière aussi, sur le même rythme depuis sa déclaration de candidature. François Mitterrand, lui, a volontairement commencé le plus tard possible, il n'a pris le mors aux dents que depuis quelques jours.
Quant à Valéry Giscard d'Estaing, après un début de campagne plus flottant qu'on ne s'y attendait, il a trouvé son allure depuis avant-hier seulement. Il a commencé par des performances moyennes à la télévision, suivies de bonnes prestations dans les meetings publics.
J'ajoute que jamais une campagne n'a autant « gommé » les lieutenants : on a beau trouver bien brillant Jean-François Deniau, froide l'ardeur guindée de Lionel Jospin, on a beau estimer que la voix de Charles Fiterman ressemble à s'y méprendre à celle de Georges Marchais, et que le style de Charles Pasqua n'a rien à voir avec celui de Jacques Chirac, une chose est certaine : élection présidentielle oblige, la personnalisation de l'enjeu n'a jamais été aussi grande.
À noter que Giscard vient, avec une belle colère, de refuser de passer sur les antennes de RTL pour le « Grand Jury » que la radio offre à tous les candidats. Explication : rendant compte d'un déplacement à Ajaccio, hier, Anita Hausser, qui le suivait pour cette station, a minimisé, selon lui, l'attentat 19 qui a eu lieu sur l'aéroport corse au moment où son avion atterrissait. D'où un coup de téléphone direct – auquel j'ai assisté, muette – à Jacques Rigaud, patron de la station, pour se plaindre de la couverture des faits. Je n'entends pas ce qu'il dit. En raccrochant, Rigaud, rouge vif de colère, me répète ses propos : « Vos journalistes, a-t-il dit, se sont comportés comme des journalistes de bas étage ! »
Pas de « Grand Jury », donc, Giscard en guerre avec RTL ; Rigaud, en tout cas, a été formidable. Son sort à la tête de RTL dépend maintenant de l'élection.
Michel Debré me raconte ce soir au téléphone
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