Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
L'industrialisation du tiers-monde, ce serait votre faute ! Le mauvais temps, la faute à Giscard ! La vraie question, demande Peyrefitte, est de savoir si notre République saura résister aux assauts de ceux qui veulent la détruire. Votre seul adversaire est celui qui a combattu le général de Gaulle. C'est la V e République qu'il veut abattre ! »
Une touche supplémentaire contre Mitterrand, pour finir, lorsqu'il le décrit avec horreur comme un successeur possible du Général, après Georges Pompidou et Giscard d'Estaing : il s'agit « d'une imposture que tous les vrais gaullistes dénonceront avec indignation ».
Habile, comme toujours, Peyrefitte. Efficace, de surcroît : démontrer que Giscard est le dernier gaulliste, désigner clairement Mitterrand comme son seul adversaire, appeler les « vrais gaullistes » à l'aide contre les faux, somme tout cela revient à « gommer » Chirac.
Il est vrai qu'après avoir été ministre chiraquien, Peyrefitte se doit de justifier son ralliement à Giscard. Il ne peut le faire qu'en se revendiquant du gaullisme. Il a d'ailleurs de vrais titres à le faire.
Giscard, qui prend la parole après lui, me semble plutôt réconforté par ces propos. Le Conseil constitutionnel vient tout juste de rendre aujourd'hui officielles les candidatures à l'élection présidentielle. Giscard annonce qu'il a le numéro 7 parmi les dix candidats retenus. Il note que sur les dix, neuf sont contre lui.
Comme toujours, il plaide l'intelligence, se prétend « choqué » de voir la légèreté avec laquelle les autres candidats traitent de problèmes sérieux. Il a pourtant compris qu'il ne pouvait pas se borner à rendre compte de son action passée à l'Élysée, qu'il lui fallait incarner autre chose qu'un bilan, donner de l'espoir à ceux qui l'écoutent.
Moins d'une heure sépare le cortège de Troyes où, après Provins, le Président doit parler plus tard dans la soirée. Il y a là près de 7 000 personnes que le maire gaulliste de Troyes, Robert Galley, a réunies pour applaudir Giscard.
À ma stupeur, je remarque, au moment où j'entre dans la salle, à quelques mètres seulement des travées, une sorte de tente blanche luxueusement agencée : sur une table basse, des chandeliers argentés ; deux couverts seulement, pour Giscard et Robert Galley sans doute. Stupéfaite, je me faufile rapidement dans la tente et prends connaissance du menu : aspic d'écrevisses, belons aux asperges du Lubéron, pigeons au foie gras. Diable !
Tout près, deux autres tentes, plus vastes celles-là. Dans la première, un tonneau de vin rouge et de la charcuterie : pour les services d'ordre et l'organisation. Dans la seconde, quelques bouteilles de vin et des sandwiches : pour les journalistes. L'un de nous plaisante, la première surprise passée : « La société de classes », commente ce journaliste du Figaro .
Pendant ce temps, Giscard commence son intervention par un propos volontairement populaire : « Je figure dans cette campagne avec un numéro porte-bonheur, le 7, qui m'a été conféré par le tirage au sort : c'est un clin d'œil du destin ! »
Je le trouve plus détendu que quelques instants auparavant, à Provins. Plus orateur de foule, moins de salon. Il dit encore, dans l'atmosphère à la fois tendue et enthousiaste de son meeting : « Le roc giscardien tient bien. Je viens d'une province bâtie sur le granit. Demain, nous gagnerons ! » Applaudissements fournis, puis : « J'en porte la certitude en moi, chaude et rayonnante comme le soleil ! »
Ces phrases-là ne sont pas dans son style, elles passent d'autant mieux que peu nombreux sont ceux qui ont entendu jusqu'ici Giscard parler du soleil. Ce doit être une petite concession à la campagne électorale !
Pendant qu'il parle, en face de moi, Jean-François Deniau, qui a accompagné le Président aujourd'hui, fait semblant de prononcer lui-même, et en même temps, le discours que Giscard tient à la tribune. Je ne comprends pas : il mime les phrases avec une sorte de souffrance interne dont l'intensité me sidère. Est-ce pour montrer qu'il les a écrites de sa main ? Ou bien regrette-t-il, en cet instant, de ne pas être à la place de Giscard ? En fait, il nous avait dit, à Roger Stéphane et à moi, un soir de mauvaise humeur, que le sort aurait pu le choisir, lui, au lieu de Giscard : même formation, davantage de culture, autant d'éloquence, plus d'humour. Est-ce
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