Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
majorité présidentielle ? Quid , en cas de ministres communistes au gouvernement ? Y a-t-il une menace pour les libertés en France ?
À questions classiques, réponses classiques.
Jean Lecanuet, que je rencontre, me dit que la perspective de ministres communistes est certes, à ses yeux, catastrophique, mais qu'il ne voit pas comment Mitterrand pourrait aujourd'hui l'éviter.
Alors que la campagne du premier tour s'achève, un indice : Georges Marchais a dit hier sur FR3 qu'il souhaitait « un retrait le plus rapide possible des troupes soviétiques d'Afghanistan ». C'était une des conditions qu'avait mises Lionel Jospin à la signature d'un pacte politique avec les communistes. Condition remplie.
14 juin.
Premier tour des élections législatives
Pendant que les résultats défilent et que je les commente à l'antenne, Mitterrand est au premier étage de l'Élysée avec Danielle, Christine Gouze-Raynal et Roger Hanin, auxquels se sont joints Irène Dayan, André Rousselet et Gaston Defferre.
« Depuis Gambetta, a dit Mitterrand à Defferre que je joins au téléphone dans la soirée, on n'avait pas vu cela : nous aurons la majorité à nous tout seuls, même sans les radicaux de gauche 38 ! »
L'échec communiste, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a pas plongé le petit groupe dans l'affliction. « Quand je pense, a dit Mitterrand, aux esprits fins qui ne voulaient pas que je procède à des élections législatives, qui me conseillaient de ne pas prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale existante ! »
Gaston Defferre l'a interrompu : « Et encore, je ne vous en avais pas parlé : j'ai eu de véritables algarades avec des députés socialistes qui n'avaient pas avalé la dissolution ! – Non, ce n'est pas vrai ? » s'est exclamé Mitterrand, incrédule et rigolard.
De Mitterrand encore, ce soir-là : « Nous avons dix-huit mois difficiles devant nous, et, après, trois ans et demi pour remonter la pente ! »
La vague socialiste place en réalité Mitterrand dans une position différente : il ne sera plus obligé, si le deuxième tour confirme le premier, et si les socialistes ont à eux seuls la majorité, de prendre des communistes au gouvernement.
20 juin
En quatrième vitesse, une fois de plus, voyage de Pierre Mauroy, hier, à Rouen, Dreux, Tours, Châlons-sur-Marne et Provins. Tout cela dans l'après-midi, le même gros hélicoptère transportant la troupe de Matignon et celle des (quelques) journalistes qui suivent le Premier ministre dans la campagne.
Plaisir inouï, pour Pierre Mauroy, que se balader en hélicoptère du GLAM 39 , salué par les préfets (plutôt mal dans leur peau !) en grand uniforme, précédé par les motards de la gendarmerie, alors qu'il a fait tant de déplacements quasi clandestins, discrets, en tout cas, avant son arrivée à Matignon !
Le voyage se termine à Provins où Alain Peyrefitte, blême, l'accueille aux portes de la salle où Mauroy doit tenir son meeting sur les coups de minuit (le cortège socialiste a deux heures et demie de retard). Peyrefitte, non sans un certain cran, réclame la parole. Mauroy, qui a l'air de ne pas comprendre ce qu'on lui demande – dans son cas, c'est un truc qui lui permet de gagner du temps –, finit par la lui donner en disant noblement : « Je crois à la force des arguments. Allons-y ! »
On y va. Dans un charivari indescriptible, personne, ni Mauroy ni Peyrefitte, n'arrive à se faire entendre, la salle étant composée à moitié de partisans de l'un et de partisans de l'autre. Les socialistes locaux ont manifestement été en dessous de tout dans l'organisation de cette réunion ! « Je ne prendrai pas un préfet parmi les membres de la fédération locale », ironise un accompagnateur de Mauroy, Thierry Pfister, journaliste au Monde , qui vient de passer à son cabinet comme responsable de la presse. Alors, dans une de ces grandes envolées lyriques dont il a le secret, d'autant plus difficile pour lui qu'au bout de sept heures de meetings il est pratiquement aphone, Pierre Mauroy demande à ses troupes de se disperser et de se retrouver, en cortège silencieux, devant la mairie.
Ce qu'ils font sans que nous sachions, nous les journalistes qui ne connaissons pas les lieux, où ils vont exactement. Puis, après un dernier tour dans les rues dont les fenêtres restent obstinément closes, où les cafetiers abaissent précipitamment leurs rideaux de fer, nous
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