Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
naturellement, avant les municipales, ou d'organiser un vrai désordre dans toutes les sociétés de l'audiovisuel.
Pour un baptême du feu, c'est un baptême du feu ! Les propos de Juquin sont graves, d'abord parce qu'ils dépassent la seule Haute Autorité en mettant en cause la cohésion gouvernementale. Et puis, aussi et surtout, parce qu'ils semblent entendre que la Haute Autorité n'est que l'émanation du pouvoir socialiste dans l'audiovisuel au moment où elle est là justement pour prouver le contraire.
Il me semble que l'intimidation touchant à la solidité de l'équipe gouvernementale, ce n'est pas manquer à la notion d'indépendance que de mettre en garde Mauroy : je le trouve, face à cette menace communiste, irrésolu et même carrément flou.
Il prévient néanmoins Mitterrand, qui me rappelle de je ne sais où : il imagine mal les communistes rendant publiques les raisons de leur rupture avec les socialistes, c'est-à-dire invoquant mon refus de nommer deux présidents communistes à la tête de sociétés de l'audiovisuel. Il supporte encore plus mal le chantage qui vise à mêler l'alliance gouvernementale et les décisions de nomination de la Haute Autorité. Il ne me donne pas de consigne : moins d'un mois après sa création, la Haute Autorité fait la démonstration que la « rupture du cordon ombilical » entre l'État et l'audiovisuel est une bonne chose.
Je me sors du conflit avec Pierre Juquin en l'envoyant aux pelotes – ce que le gouvernement n'aurait pas pu faire. Et cela se termine en eau de boudin.
« Dans ce genre de coups, ne mouille jamais Mitterrand » : c'est le conseil que me donne Maurice Faure à qui j'ai raconté le chantage du PC.
18 septembre
Le cafard, d'un coup, me saisit. Je remets les clefs de Radio France à Jean-Noël Jeanneney. Difficile d'abandonner ce à quoi on s'est consacré, ce pour quoi on a lutté pendant quatorze mois. J'aimais cette maison, les gens qui y travaillent. Adieu.
Je me fais ces réflexions en écoutant la 9 e symphonie de Beethoven dirigée par Bernstein. La face 3, celle que je préfère.
Je me dis aussi – et c'est une des causes de mon cafard nocturne – que cette Haute Autorité n'existe que si elle est tenue. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui : Karlin convoque Claude Otzenberger pour lui demander sans doute s'il veut présenter sa candidature à TF1. Jean Autin, lui, va parler seul à Michel May. Nous serons déconsidérés dans les deux mois si nous continuons de la sorte.
Il faudra d'urgence établir un code de bonne conduite entre nous : évidemment, nous ne nous connaissons pas bien. Justement, il faut s'y prendre tout de suite. Répartir le travail, créer des commissions, préciser les responsabilités collégiales et individuelles.
À ce propos, lorsque j'annonce à André Rousselet la nomination, à l'unanimité des membres de la Haute Autorité, de Corinne Fabre 12 , sans penser mal faire, celui-ci me fait savoir que l'Élysée avait en tête quelqu'un d'autre pour ce poste. Je suis d'autant plus étonnée que je n'ai pas pensé une seule seconde que cette nomination puisse se faire autrement qu'à la Haute Autorité et par la Haute Autorité. D'ailleurs, Rousselet en convient tout de suite et n'insiste pas. Mais le décret au Journal officiel nommant Corinne Fabre à ce poste n'est pas encore sorti 13 .
19 septembre
Nous avons commencé sans attendre, depuis quelques jours, le 7 septembre précisément, à nous pencher sur ce qui est notre première épreuve : la nomination des présidents des sociétés publiques de radio et de télévision. Curieusement, cela ne se passe pas trop mal. Plus facilement que je n'aurais cru, en tout cas. Sans doute parce qu'il est plus facile de nommer cinq présidents à la fois qu'un seul : lorsqu'il y a cinq nominations à faire, l'équilibre s'impose – équilibre politique, s'entend. Et là, tout s'est déroulé sans problèmes entre nous.
Comme nous sommes logés pour le moment dans quelques bureaux de Radio France, nous avons été obligés, pour des raisons de discrétion, de convoquer les impétrants – ceux à qui nous pensions – dans des bureaux occupés par Jean Autin dans la tour Montparnasse.
Nous commençons à aligner chacun des noms. Spontanément, sans nous être concertés, nos propositions ne sont pas tellement éloignées les unes des autres, qu'elles émanent des membres nommés par la majorité 14 ou de ceux nommés par le
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