Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

cela que quelques minutes. Il a préféré aborder longuement les problèmes du Liban et des massacres qui s'y sont déroulés 18 . Il me raconte qu'il y a quelques mois, il avait recommandé à Menahem Begin de ne surtout pas entrer dans Beyrouth-Ouest. « Cela lui aurait évité, affirme-t-il, d'être accusé aujourd'hui d'avoir couvert (au mieux), provoqué (au pire) les horribles tueries de Beyrouth ! »
    Lorsque je suis arrivée, les huissiers m'ont conduite à la bibliothèque au rez-de-chaussée de l'Élysée. Avant que j'entre, celui qui m'accompagnait a fermé quelques portes comme pour m'isoler du visiteur précédent. En entrant dans la bibliothèque, un parfum me saisit : une femme était donc là, avant moi. Inutile de dire que je ne demanderai pas laquelle.

    22 septembre
    Jusqu'ici, ça va.

    23 septembre
    Daniel Karlin présente un film sur les enfants sourds, qu'il vient de terminer, juste avant d'accepter d'entrer à la Haute Autorité. Au premier abord, j'avais trouvé Karlin insupportable, se comportant en ennemi de classe de chacun des huit autres membres. Ma première impression était la mauvaise. Ce soir, je me ravise : il y a quelque chose de très fort, de très convaincu chez ce type. C'est un vrai créateur. Cela étant, je ne sais pas quels sont ses liens réels avec le Parti communiste, et s'il saura s'en affranchir. J'espère qu'il le saura, et qu'il le pourra. Pour le moment, il est légèrement marginalisé dans notre groupe qui joue la consensualité. Il ne le serait pas s'il ne cherchait pas à l'être.

    24 septembre
    Le Parisien titre : « Accord complet entre Georges Fillioud et Michèle Cotta. »
    Je trouve cela dangereux : si l'organisme de régulation de l'audiovisuel est trop proche du ministre en charge de l'audiovisuel, il y a quelque chose qui ne va pas.

    2 octobre
    Concert fantastique (le mot est faible, mais, à cette heure-ci, je n'en trouve pas d'autre) avec Rampal, dont on fête les 60 ans, Isaac Stern et Rostropovitch (Haydn, Mozart, Brahms). Un concerto pour violon et violoncelle où l'un et l'autre se répondent, s'interpellent. Avec son visage de clown génial, Rostro regarde Stern. Stern, sorte de petit Belge rougeaud, tire de son violon des sons inimaginables. Rampal, avec sa flûte, joue Mozart, fait pour lui.

    Je reviens sur la Haute Autorité : trouverai-je mon chemin ?

    3 octobre
    Pas de roman à écrire. Mais c'est un roman que je vis, avec mes amis vieillissant comme moi, donc ne me voyant pas vieillir, qui se croisent et se décroisent, menant leur barque à la fois ensemble et séparément ; avec des rencontres, gens peut-être vite oubliés, peut-être jamais perdus de vue ; avec les couples qui se font et se défont, les amitiés éternelles, les amours de circonstance, ceux qu'on va oublier et ceux qu'on garde en soi, pourquoi, comment ? De quel être profond sommes-nous, en surface, le reflet ?

    19 octobre
    Le plus difficile sera de définir notre territoire, de le faire savoir et surtout de le faire respecter. À peine sommes-nous installés que les syndicats de journalistes me demandent rendez-vous. Eh quoi, la Haute Autorité pourrait s'immiscer dans le travail des journalistes ? FO, la CGT, le SNJ s'élèvent contre cette insupportable atteinte éventuelle à la liberté d'expression !
    Nous leur expliquons – essentiellement Marc Paillet et moi, journalistes la veille encore – que nous n'avons pas l'intention de diriger l'information en nous substituant aux directeurs qui en ont la charge. Nous n'interviendrons que si nous en sommes saisis, en cas de déséquilibre flagrant ou de manquement à l'honnêteté de l'information. Nous sommes garants du pluralisme : c'est la loi qui le prévoit. Et c'est la loi que nous observerons dans sa lettre et dans son esprit.
    Je sais que beaucoup d'observateurs doutent de notre faculté à défendre le pluralisme dans l'information télévisée. Je suis peut-être naïve, je crois que c'est possible.

    23 octobre
    Ça commence bien !
    La bataille pour la direction de l'information de TF1 est commencée. Les uns, à l'Élysée, Laurence Soudet par exemple, mènent campagne pour qu'elle soit confiée à François Lanzenberg, journaliste de talent, mendésiste de cœur et de raison. Certains autres ne sont pas chauds (sans doute parce qu'être ou avoir été mendésiste n'est pas pour eux un brevet de fidélité à Mitterrand, au contraire). On avance le nom d'un autre