Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
pas en accepter, si Mitterrand m'en fait la proposition, la présidence. Je serais en première ligne, ce qui ne serait pas une sinécure. Tandis qu'à Radio France je suis relativement préservée des fureurs et des pressions, les hommes politiques ne pensant toujours qu'à la télévision qu'au demeurant ils ne regardent pas.
Ai-je le choix ? De deux choses l'une : ou Mitterrand me le propose, et, si je refuse, je ne suis pas sûre de ses réactions, et je ne vois pas pourquoi la Haute Autorité à venir me renommerait à Radio France. Ou il ne me le propose pas, et nous parlons pour ne rien dire.
Et puis, c'est bête, mais j'y crois à cette Haute Autorité ! Je veux dire que je crois vraiment que l'audiovisuel doit rattraper son retard par rapport aux autres télévisions du monde « civilisé » : partout le monopole de la diffusion a disparu ; partout les désignations des présidents de chaînes sont le fait d'organismes indépendants, avec ou sans l'intervention des parlementaires ou d'une représentation politique. Et partout, surtout, sauf en Afrique noire ou dans les pays de l'Est, l'opposition a droit à l'existence audiovisuelle.
Dans l'état d'immobilité où m'a mise mon lumbago, je doute que Mitterrand me confie la moindre tâche qui devrait nécessiter la plus petite dépense d'énergie.
14 août
Voilà donc que je « vole seule vers mon destin », comme me l'a dit tout à l'heure en riant Paul-Marie de la Gorce, en m'accompagnant à l'aéroport de Toulon-Hyères où l'avion présidentiel m'attendait 9 . Car c'est dans un avion du Glam que j'écris, en route vers Latche, via Mont-de-Marsan, pour dérouter les journalistes. L'Élysée m'a fait savoir hier (et Rousselet avant) que le Président souhaitait me voir à Latche. Si j'ai encore du mal à marcher, le lumbago n'ayant pas complètement disparu, je peux néanmoins prendre l'avion !
Il s'agit donc de parler de la Haute Autorité. Qu'elle soit nécessaire ? J'en suis maintenant convaincue. Est-ce que je sais ce que je veux ? Je suis incapable de le savoir, donc de le dire. Comme si je me dirigeais vers Dieu le Père en attendant qu'Il choisisse pour moi !
Tout de même, en cherchant bien, ce que je veux lui dire, néanmoins, je le lui ai déjà dit pendant l'heure et demie que nous avons passée ensemble, le 25 ou le 26 juillet, avant mon départ.
Je l'avais trouvé, ce jour-là, attentif, quoiqu'ayant toujours au fond du cœur le sentiment que « les autres » étaient responsables de tous les échecs, et pas son gouvernement ni lui-même. J'avais donc pu exprimer ma conviction que la presse en général, et l'audiovisuel en particulier, ne voulait pas mettre un terme à l'expérience socialiste. Qu'il ne fallait pas envisager de les contraindre, mais de les convaincre. Que peut-être cela lui prendrait du temps.
En passant, je me suis aperçue que ce terme, « expérience socialiste », l'énervait profondément par tout ce qu'il sous-entendait d'éphémère, de précaire. Il a l'intention de montrer qu'il n'est pas là juste le temps d'une expérience !
Je me rappelle qu'il s'inquiétait pour la première fois, ce jour-là, de la chute de la cote de Pierre Mauroy dans les sondages.
Sur sa conception de la Haute Autorité, et sur sa nécessité, il m'a ce jour-là proposé une comparaison : celle de la rue de Vaugirard. « Personne ne peut concevoir, me dit-il – ce ne sont pas ses propos exacts, mais c'en est la substance –, qu'à certaines heures, toutes les voitures puissent avancer de front rue de Vaugirard sans que la circulation soit bloquée : il faut donc prévoir un système de régulation, avec feux rouges et feux verts, pour limiter l'accès à une artère facilement embouteillée. »
Qui doit faire passer les voitures et réguler le trafic ? Si c'est le gouvernement, il sera facilement accusé de tous les maux. Si c'est un organisme indépendant, ce devrait être plus facile. Et moins pénalisant, en cas d'échec, pour l'exécutif, Président ou gouvernement.
Atterrissage dans quelques minutes...
14 août (suite)
Ce soir, je prends le temps de consigner ces notes, ne serait-ce que pour savoir où j'en suis.
J'ai retrouvé Mitterrand en pleine forme dans la cour de la maison aux deux ailes à angle droit dans laquelle il vit à Latche : bâtiment principal pour les activités collectives, familiales ou amicales, bâtiment plus petit pour la lecture et le travail.
Au premier coup
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