Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
prodigués par son entourage : pas de mouvements de menton, pas de ruades dans les brancards majoritaires ; un Chirac assez aimable pour ne pas abattre d'un coup de poing l'équilibre fragile de la majorité, assez poli pour ne pas attaquer de front, une heure durant, le président de la République. Les éclats de voix à l'intérieur de la majorité ? Chirac minimise : la majorité a certes connu des rivalités, mais pas sur ses objectifs essentiels ; il s'est agi de « rivalités normales » en son sein. Giscardiens et chiraquiens sont néanmoins parvenus à la signature d'un pacte majoritaire qui n'est pas remis en question. « Je n'ai pas d'autre commentaire à faire. »
Sans agressivité, mais fermement, il a néanmoins redit tout ce qui l'a opposé et l'oppose encore à Raymond Barre, ce qui n'a sûrement pas échappé à l'actuel Premier ministre. D'abord, sur les « objectifs d'action » définis par Raymond Barre :
« De deux choses l'une, dit Chirac en faisant attention à maîtriser l'expression de son visage et à ne pas laisser paraître un soupçon d'irritation, ou bien le projet en préparation est un testament, ou il s'agit d'une opération politique. Si c'est un testament par lequel le gouvernement résume ses principales orientations politiques, très bien, rien à dire. Si, au contraire, il s'agit de distribuer des cartes d'entrée pour une nouvelle majorité, je dis que c'est courir un grand danger. Il y aurait en quelque sorte des “bons” et des “mauvais” membres de la majorité. Ce serait introduire de nouvelles divisions dans l'actuelle majorité, y créer crispation et perturbation. »
Son analyse de la situation à gauche est moins optimiste que celle de Giscard et de Barre : « Additionnés, le PS et le PC sont aussi dangereux qu'ils l'étaient lorsqu'ils étaient unis. »
Il est partisan de la liberté des prix, pas Barre. Barre prévoyait la fin de la crise pour décembre, on y est encore. Barre désigne les responsables de la vie chère : les commerçants, les agriculteurs. Chirac refuse de désigner des boucs émissaires dans une crise qui touche aux emplois, aux prix et à l'activité industrielle.
J'ai noté une formule pendant qu'il parlait : « La France est malade. Le malade ne progresse pas. Si grand que soit le respect pour le médecin, il faut proposer une nouvelle médecine. »
Si ce n'est pas attaquer Raymond Barre, ça !
Restent les phrases de la fin. Du pur Chirac, à la fois vrai et un peu trop grandiloquent, du moins à l'antenne :
« Mon moteur ? Ce qui me pousse ? C'est simplement l'ambition. Pas celle d'occuper un poste ! Je n'aurais pas démissionné en 1976 si cela était le cas. Non : j'ai une ambition qui consiste à maintenir la France à une certaine place dans le monde. »
18 novembre
La perspective, que je n'avais à aucun moment envisagée, et dont je ne suis d'ailleurs pas convaincue, d'une rivalité entre Barre et Peyrefitte pour Matignon m'a incitée aujourd'hui à demander rendez-vous à Arlette de la Loyère, sa collaboratrice fidèle, pour essayer d'en savoir davantage.
Le 8 au matin, me raconte-t-elle, Chirac n'a pas été le seul à admonester solennellement les ministres RPR. Debré y a ajouté sa voix en disant que l'optimisme de Raymond Barre était ridicule. Couve de Murville a mis en cause la politique méditerranéenne de la France. Et ce n'est qu'après leurs mises en garde (faites d'autant plus librement qu'ils ne sont pas membres du gouvernement, même si ce n'est peut-être pas l'envie qui leur manque !) que Chirac a dit, prenant appui sur ce que Michel Debré venait d'énoncer : « Vous voyez bien qu'il y a autour de nous une tentative d'étouffement. Vous ne pouvez pas rester passifs, faites quelque chose, et pas dans quelques semaines ni dans quelques jours. Tout de suite ! »
Elle me cite les propos qui ont été alors ceux d'Alain Peyrefitte :
« Je n'ai jamais eu, ni de l'Élysée ni de Matignon, un coup de fil pour me demander de prendre un suppléant giscardien. J'ai poussé la curiosité jusqu'à poser la question aux autres ministres. Ils m'ont répondu qu'eux non plus. D'où vient donc cet écho ? De la rue de Lille 37 ! Même chose sur la politique étrangère : nous n'avons pas abandonné la politique méditerranéenne des gouvernements gaullistes précédents ! »
C'est alors qu'il a parlé de l'agressivité de Jacques Chirac à l'égard de Barre et de
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