Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Giscard :
    « Si tout cela est arrivé, c'est que vous, rue de Lille, vous n'arrêtez pas de dauber sur le gouvernement. Quand tu dis : le gouvernement est une bande de chiffes, ça revient aux oreilles du Premier ministre, et cela ne lui fait pas plaisir. »
    Voilà donc une confirmation : l'expression « bande de chiffes » a été prononcée par Peyrefitte.
    « En réalité – et, par la voix d'Arlette, je sens bien que s'exprime Alain Peyrefitte –, Chirac a fait le pronostic que Barre allait échouer et qu'il ne fallait pas lier son destin à lui. Face à la situation du moment, il flotte, il agit par coups de tête. Il devrait se taire et attendre que cela se passe, voilà tout ! »

    19 novembre
    Avec Jacques Toubon, nous évoquons l'émission de Jacques Chirac à la télévision, ce mardi. Il confirme qu'il s'agissait bien pour lui de se démarquer de Raymond Barre, et pas de Giscard. Au début de la semaine, il s'agissait, pour la petite équipe de Chirac, de trouver une certaine « distanciation » vis-à-vis du gouvernement. L'expression choisie après le séminaire de samedi a été « démarquage ». Nuance !
    Jérôme Monod a envoyé le 14 novembre aux ministres et aux secrétaires d'État RPR une de ces notes très sèches qu'il affectionne pour leur rappeler en quelque sorte les recommandations formulées par Chirac le 8 : « Les formations constituant la majorité pluraliste ont déterminé ensemble les principes d'organisation de cette majorité. Elles ont adopté un manifeste qui définit les valeurs et les orientations qui leur sont communes et ont signé le pacte majoritaire. La signature par les candidats de la majorité d'un programme de gouvernement reviendrait à recréer la confusion entre le rôle du gouvernement et celui des partis politiques. »
    On sait ce qu'il est advenu des recommandations et du texte de Monod : les ministres RPR n'ont pas pipé mot lors du dîner autour de Raymond Barre !
    De façon plus futile, Toubon me fournit la réponse à une question qui m'avait perturbée tout au long de l'interview de Chirac à la télévision. Je me demandais ce qu'il avait de changé dans son visage. Eh bien, tout simplement ses lunettes, moins épaisses, moins sévères, moins carrées...
    Il me décrit le QG secret de Pierre Juillet, rue Vaneau, l'endroit où Jacques Chirac a préparé son émission avec ses conseillers : il s'agit d'un grand appartement, au 4 e  étage, avec trois belles salles de réception donnant sur les jardins de Matignon. Pierre Juillet a acquis ce lieu lorsque Jacques Chirac était à Matignon, de 1974 à 1976. Le tout est meublé, me dit drôlement Toubon, « dans un style ruralo-viril et anglo-écossais » : Pierre Juillet garde son côté gentilhomme campagnard à Paris.
    Samedi, c'est avec Jérôme Monod, Marie-France Garaud, René de La Charrière 38 et bien sûr Pierre Juillet que Jacques Chirac a mis au point les thèmes de son émission.

    Quelques mots sur ce conflit, car c'en est un, entre Matignon et la direction du RPR. Tout tourne évidemment autour d'une question : qui conduit la prochaine campagne électorale ? Raymond Barre ? Après tout, il n'y aurait là rien que de très naturel : il est Premier ministre et son rôle est de conduire la majorité dans ce combat. Seulement voilà : Jacques Chirac n'entend pas être conduit par quelqu'un d'autre que par lui-même ; il est hors de question qu'il place ses propres troupes sous le commandement de Barre. Alors ? Alors tout le monde est dans la nasse et lesdites troupes attendent l'arme au pied.

    Jean-Pierre Soisson, visage bourbonien et verbe arrondi, y revient en quelques mots avant son « Club de la presse » d'Europe 1 : « Quiconque se séparerait du président de la République prendrait le risque grave de compromettre la majorité et aussi de mécontenter les Français. Je ne souhaite pas pour Chirac qu'il se sépare de la majorité. »
    Il tente de se sortir de la difficulté, sans cesse évoquée par les interviewers, de devoir tenir compte des susceptibilités – et des équations politiques – de Jacques Chirac et de Raymond Barre :
    « Aucun problème électoral avec le RPR, commence-t-il par affirmer, alors qu'il pense le contraire. Raymond Barre n'imposera rien. De toute façon, le groupe parlementaire RPR est légitimiste. »
    Ce qui ne l'empêche pas d'enfoncer le coin – mine de rien, avec l'air patelin qui est le sien lorsqu'on ne