Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
En matière de communication, où il n'excelle pas lui-même, Raymond Barre a choisi un homme gentil, un journaliste de renommée moyenne, qui n'est absolument, mais alors absolument pas fait pour ce métier difficile ! Je connais Alexandre depuis longtemps, mais jamais je ne lui aurais confié un poste aussi lourd où l'esprit politique, la force de conviction, la disponibilité et l'art du mensonge sont indispensables.
Raymond Barre a donc voulu faire participer ses ministres à la définition des objectifs, demandée par Giscard. En leur précisant qu'il ne s'agissait pas de dresser un catalogue, ni un contre-Programme commun, ni un programme de parti. Alors, qu'est-ce que c'est ? Un ensemble de propositions concrètes qui doivent être réalisées dans la prochaine législature. Et si le Premier ministre, les ministres d'après mars 1978 ne sont pas les mêmes que ceux qui, aujourd'hui, établissent ces objectifs ? C'est une question qu'ont posée, semble-t-il, les ministres eux-mêmes. Réponse noble de Jacques Alexandre : le Président est garant de la permanence politique du pays.
Le problème, avec ces objectifs, poursuit tristement Alexandre, c'est qu'ils doivent pouvoir être réalisés, et doivent donc être autant de promesses tenues. Ils doivent par conséquent tenir compte des contraintes sociales, économiques et politiques du pays.
Sur ces bases, dont M. de La Palice ne serait pas éloigné, Alexandre suggère que rien, évidemment, n'est sorti du dîner du 15.
Robert Galley, je l'apprends par des ministres plus bavards que Jacques Alexandre, a pourtant dit que ce qu'il estimait essentiel, c'était d'assurer la sécurité des Français. Simone Veil a acquiescé. René Monory a dit qu'il fallait rétablir la liberté des prix.
Je demande à Alexandre si les ministres RPR ont fait savoir qu'ils n'étaient pas d'accord sur tout. Jacques Alexandre feint de sursauter : « Pas que je sache, me dit-il en s'étonnant de ma question. À aucun moment les ministres RPR n'ont élevé la voix ! »
Pourquoi l'auraient-ils fait ? m'interroge-t-il benoîtement. Jacques Chirac n'a jamais dit, à sa connaissance, qu'il était contre le président de la République ou contre le Premier ministre ?
« Et puis, insiste-t-il, les ministres ne dépendent pas des partis politiques, n'est-ce pas ? »
16 novembre
Avec Michel Debré, nous revenons sur l'algarade du 8 novembre entre Peyrefitte et Chirac. Debré n'éprouve pas une passion pour Chirac, mais il condamne la réaction de Peyrefitte – qu'il soupçonne d'agir pour son compte personnel – à son égard : « Il ne faut pas accabler Chirac, dit-il. C'est un homme de combat en même temps qu'il a des tripes nationales. Ce n'est pas un abdicateur-né. Comme un cheval lancé dans la course, il n'a pas vu qu'avec la rupture de l'union de la gauche, une certaine peur prenait fin à droite. Il n'a pas pris le tournant. »
Selon Debré, il le prend maintenant, ce tournant. Et voici les conseils qu'il lui donne : « D'abord, lui a-t-il dit, évitez toute personnalisation. Ne dites jamais “je”, mais “nous”. Ne parlez pas de vos projets, mais des nôtres !
« Ensuite – c'est toujours Debré qui parle –, il vous faut nourrir votre discours d'idées constructives, et enfin jouer l'unité de la majorité, qui a pour mérite d'exister et d'être unie. »
Pourtant, il juge en effet que l'offensive (contre Chirac) vient de l'Élysée, et que Chirac n'en est pas responsable. Il évoque, comme souvent dans l'histoire des relations entre Président et Premier ministre sous la V e République, l'existence d'un « cabinet noir » à l'Élysée autour de Riolacci et de Jean François-Poncet. Le projet gouvernemental d'objectifs d'action est significatif : « Ou bien il est précis, dit Debré, et, dans ce cas, il n'est pas électoral. Ou il est imprécis, et tout le monde va en rigoler ! »
« C'est le Bas-Empire, ajoute-t-il. La vérité est que Raymond Barre craint Alain Peyrefitte, qu'il ne veut rien faire qui le mette en piste pour Matignon après les élections. Cela, ajoute-t-il, je le sais de source sûre.
– De la bouche du cheval ?
– Non, mais quand je dis que c'est de source sûre, vous devriez savoir que c'est de source sûre ! »
17 novembre dans la nuit
Chirac à la télévision dans l'émission « L'Événement ». Manifestement, il a suivi les conseils de modération qui lui ont été
Weitere Kostenlose Bücher