Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
d'abord été la cible sur le terrain de certains militants en colère, du type : « Qu'est-ce que ces querelles ? » Puis ils ont compris que les responsabilités n'étaient pas du côté de leurs dirigeants. En revanche, assure-t-il, les militants communistes en veulent à leur direction.
Je lui demande s'il n'a pas pensé à un moment donné, après la rupture de septembre, à rejoindre la majorité : « Les ouvertures ont été multiples, me répond-il. Si j'avais voulu négocier avec la majorité, je l'aurais fait. Je n'ai pas voulu jouer les Brousse 34 ! »
À 61 ans, voilà donc ce petit pharmacien de Villefranche-de-Rouergue devenu une sorte de sage de la gauche. Avec une espérance : celle de faire du Parti radical de gauche la formation d'appoint d'une éventuelle nouvelle majorité de gauche l'année prochaine.
10 novembre
Comité central du PC à Ivry. Partout des plantes vertes. Les sept secrétaires du comité central sont à la tribune et prennent la parole à tour de rôle : c'est le plus ancien dans le grade le plus élevé, Gaston Plissonnier, qui commence, mais c'est Paul Laurent, dans un rôle où je ne l'ai jamais vu, qui mène le combat contre les socialistes. Pauvre Paul Laurent ! Quand était-il sincère ? Lorsqu'il me parlait de l'unité nécessaire avec les socialistes ? ou lorsque, comme aujourd'hui, il dénonce le « tournant à droite » des socialistes ?
Il parle de la rencontre qui a eu lieu hier, il ne précise pas dans quel cadre, entre Pierre Bérégovoy, le radical François Loncle et le communiste Charles Fiterman. « Bérégovoy s'est cantonné dans son refus, sans faire un pas en avant. Seule une intervention populaire massive pour un vrai changement pourra faire bouger les choses. »
Là où les socialistes soulignent la désaffection des militants communistes, Paul Laurent, lui, affirme au contraire que « le déclin historique du PCF ne s'est pas produit. Des indications parcellaires, insiste-t-il, montrent bien que nous ne désespérons pas Billancourt ! ».
Il recommande aux secrétaires fédéraux du Parti d'accepter de « grand cœur » toutes les nouvelles adhésions, lesquelles, entre nous, ne doivent pas être considérables en ce moment.
J'écris cela, mais je me rappelle ce que m'a dit il y a quelques jours mon ancien camarade de la Fondation des sciences politiques Jean Ranger, un des premiers experts, avec Alain Lancelot, en géographie électorale. Je l'avais connu, dans les années 1960, membre du PC avec lequel il avait pris ses distances en 1965, au moment du soutien à Mitterrand, et je l'ai revu il y a quelques jours : il m'a assuré qu'il était heureux de retrouver aujourd'hui un vrai Parti communiste, avec son identité, et qu'il allait sans doute reprendre sa carte. Si lui pense cela, il y en a peut-être beaucoup d'autres ?
En tout cas, la réaction de Ranger m'a révélé, ou plus exactement a confirmé ce que je pense : dans le rapprochement avec les socialistes, les communistes ont eu, à un moment, peur de perdre leur identité – le PS progressait, Mitterrand était de plus en plus le représentant de la gauche tout entière ; ils ont craint tout simplement de disparaître, de se fondre dans l'union de la gauche.
Je reprends le cours du discours de Paul Laurent : il a une phrase qui me fait réfléchir lorsqu'il parle des nouveaux adhérents du Parti. Il dit : « Rien ne doit retarder leur participation plus consciente et plus efficace à la lutte. Toute étroitesse doit être bannie, qui retarderait leur adhésion. »
Je conclus de cet appel solennel autant qu'inhabituel que beaucoup de secrétaires départementaux, dont l'ouverture d'esprit n'est pas l'apanage, freinent les adhésions parce qu'ils en ont peur, parce qu'ils ne savent pas si les nouveaux membres méritent leur confiance. Parce que, résistant sans doute par nature et par fonction à tout changement, ils restent sur leur quant-à-soi et comptent bien imposer aux nouveaux adhérents le parcours qui a été le leur : lent, lourd, long. Si l'école du Parti devient trop aisée pour tous, alors, pensent-ils, à quoi sert-elle ?
Je passe sur la suite du comité central : tous les orateurs déclinent les recommandations de Paul Laurent, doté sans doute d'une importance nouvelle au sein du Parti ; il faut intégrer, ne pas décourager les nouveaux adhérents. S'il y en a vraiment...
Je retiens aussi l'affirmation
Weitere Kostenlose Bücher