Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
prête pas attention à la dureté de son regard – entre Parti républicain et RPR :
« Il est vrai, ajoute-t-il, que le RPR est parcouru de courants divers. C'est Alain Peyrefitte, par exemple, qui rédige les objectifs d'action du gouvernement. Les signes d'énervement au sein du RPR viennent de là. Pour le reste, nous nous entendrons : nos électorats sont des vases communicants. Certes, le RPR a la tentation de s'exclure des institutions. Nous, nous ne jouons pas contre eux ; eux s'excluent du jeu. Je l'ai d'ailleurs dit à Jacques Chirac avant nos assises de Fréjus : il ne peut pas ne pas se placer derrière le Président, et pas davantage derrière Barre. »
Coup de pied de l'âne, à la fin :
« Je peux vous le dire : nombre de députés RPR désapprouvent Chirac, ils jugent qu'il a passé les bornes de la légitimité. Notre base est unitaire. Il ne pourrait l'oublier qu'à son détriment. »
22 novembre
Raymond Barre à Cruseilles.
Il neige sur Cruseilles : par –5 degrés, le Premier ministre est allé rencontrer les habitants de ce district montagnard de Haute-Savoie, invité par l'Association pour la démocratie dans ce lieu que le froid rend inhospitalier. Sur trois écrans, au fond de la salle, un spectacle diapo sur le thème : « Aimez-vous la France ? » Textes de Jean d'Ormesson lus de sa belle voix par Marie Laforêt, l'actrice aux yeux d'or.
Un texte lyrique pour lancer la réunion : « France du soleil, de l'atome, France du fond des mers, France qui sauve des vies humaines... »
Suivi d'une litanie sur la France libre. Je note à toute allure quelques phrases de Jean d'Ormesson sur ce thème : « Français, reconnaissez ceux qui sont morts pour vos idées ! Français, souvenez-vous de tous ceux qui ont fait la France libre : Vercingétorix, Bayard, Charles Martel, Jeanne d'Arc... » Couplet encore sur la France qui se bat pour la Justice, la Liberté : « Aimez la France quand elle s'appelle Liberté ! »
Gros plan sur Giscard, bouquet de fleurs bleu-blanc-rouge.
Fin du diaporama.
Les applaudissements, légers, se transforment en ovations quand Raymond Barre arrive de sa démarche lourde, pachydermique même, salué par la chorale de Cruseilles.
Il est accueilli par le maire, qui s'éclipse après quelques mots de bienvenue. C'est Alain Trampoglieri 39 qui joue le maître de cérémonie et distribue les questions. Curieux Trampo, toujours prêt à vous chuchoter des histoires à l'oreille, toujours secret, agité, souvent drôle, toujours dans les coulisses du pouvoir, aujourd'hui transformé en journaliste officiel.
Devant le Premier ministre, un auditoire majoritaire mais catégoriel. Depuis le représentant des artisans auprès du gouvernement jusqu'au responsable de la protection des sites, pas une question qui n'ait été soigneusement préparée avec les services de Matignon. Et puis il y a celles, inévitables dans ce genre d'exercice, auxquelles Raymond Barre répond doctement : « Est-ce la première fois que vous venez à Cruseilles ? » Comme si le Premier ministre avait d'autres raisons qu'électorales d'être venu dans ce trou ! Les écoliers de la petite ville ont confectionné des dessins pour les remettre à leur illustre visiteur, dessins que TF1 ne s'est pas privé de passer pendant son journal télévisé de 13 heures.
Barre plaisante lui-même : est-il aussi gros ou moins gros que sur les dessins enfantins ?
La foule s'esclaffe.
Pourquoi donc est-il venu jusqu'ici ?
Barre répond, toujours dans un registre connu, qu'« il est bon que les responsables du pays discutent très librement avec des Français, qu'ils puissent avoir un contact direct avec les gens ».
Question : Beaucoup d'instituteurs gagnent ici près de 580 francs par mois. Peuvent-ils espérer mieux ? « Nous ferons un effort particulier », assure Barre, qui a tellement l'air de ne pas y croire qu'il ajoute aussitôt que les gestes qui seront consentis « seront limités à l'effort qu'on peut faire ».
Les artisans du bâtiment sont confrontés à la concurrence des travailleurs au noir, que faire ? Réponse : « La France a besoin de ses artisans, mais faire la preuve du travail au noir est très difficile. Je comprends vos réactions, mais comprenez les nôtres. »
Les licenciements chez CIT-Alcatel d'Annecy ? « Dans certains cas, affirme Barre, les allègements d'effectifs sont indispensables à la survie des entreprises. Par
Weitere Kostenlose Bücher