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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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modéré. Alors, dire à ces électeurs-là, qui ont fait hier la différence, que tout doit être fait pour sauver la monnaie : difficile !

    21 mars
    Vite, avant que le souvenir ne s'estompe ! Une heure et demie avec Pierre Mauroy, aujourd'hui, qui me raconte l'histoire des quinze derniers jours.
    Lundi 14, Mitterrand lui demande de rester Premier ministre. Il est, lui, Mauroy, personnellement opposé à ce que la France sorte du serpent monétaire 3 . François Mitterrand, lui, y est favorable. Mauroy lui objecte qu'il ne pourra rien faire, qu'il ne saura rien faire si la France s'isole en sortant du système monétaire européen. Il lui fait également valoir que, lorsqu'il était secrétaire général adjoint de la SFIO, il a beaucoup réfléchi à l'exemple de Harold Wilson 4 . Que la France, en sortant du système monétaire européen, ne pourra de toute façon jamais maintenir la parité du franc par rapport au dollar.
    Mitterrand est interdit par la détermination de Mauroy. Sans doute ne l'imaginait-il pas aussi ferme sur des problèmes économiques et financiers qui, a priori , n'étaient pas son fort.
    Mercredi matin : Pierre Mauroy a réfléchi pendant la nuit. Il a changé d'avis parce qu'il s'est persuadé que sous la V e  République, un Premier ministre loyal ne peut rien refuser au président de la République. Il revoit Mitterrand et lui dit qu'il accepte de constituer un autre gouvernement « pour, dit-il, n'importe quelle politique ! ».
    C'est François Mitterrand, cette fois, qui bloque. Il s'est renseigné. Effectivement, il n'y a plus assez de réserves. « On me l'a caché », se plaint-il. Mauroy lui répond que ce n'est pas lui, en tout cas, qui le lui a dissimulé.
    « Dans ces conditions, conclut Mitterrand, il n'est pas dit que nous quittions le serpent. Donc, pour le moment, vous restez. Mais je continue à réfléchir. »
    Le soir, dîner plutôt amical rue de Bièvre.
    Vendredi, nouveau changement : « Non, lui dit Mitterrand dans un accès de sincérité. Ce ne serait pas bien de vous user. Car vous pouvez me resservir, et resservir dans deux ans : je ne peux exclure cette hypothèse. Comme je ne peux pas non plus exclure l'hypothèse Rocard. S'il le fallait, d'ailleurs, je le prendrais. Dites-vous bien que ce serait en dernière extrémité. »
    Bon. Il ne demande pas, toutefois, la démission de Mauroy. Il lui donne rendez-vous pendant le week-end.
    Le lendemain, Pierre Mauroy fait l'aller-retour entre Lille et Paris, juste le temps d'être élu maire de Lille, puis revient à Matignon où François Mitterrand l'appelle à trois reprises.
    Jacques Delors se montre, pendant toute cette période, solidaire de Pierre Mauroy : s'il recommande une dévaluation, que le Premier ministre affirme, lui, ne pas pouvoir assumer, il trouve en revanche, comme Mauroy, qu'une sortie du système monétaire européen, dans ces conditions, serait catastrophique. Il ne cesse de défendre son point de vue devant Mitterrand, alors qu'il le sait : Jean Riboud, qui a beaucoup d'influence sur Mitterrand, plaide le contraire. Les oreilles du Président sont très sensibles à ces « visiteurs du soir » – ainsi que les appelle Pierre Mauroy – qui, en fin d'après-midi, viennent convaincre Mitterrand que son gouvernement ne fait pas ce qu'il faut.
    Finalement, le lundi matin (je livre ici la chronologie car elle est importante pour se représenter l'atmosphère dans laquelle tout cela se passe, d'une heure à l'autre, d'une nuit à l'autre), François Mitterrand accepte le plan que lui propose Jacques Delors : réévaluation du mark, dévaluation du franc de 2,5 %.
    Dans ces conditions, il l'a dit et redit, Mauroy quittera ses fonctions. Le déjeuner que nous prenons dans la salle à manger de Matignon est le dernier.
    De bout en bout, pendant cette semaine folle, le flottement et l'indécision ont prévalu. Ce qui risquerait de donner aux Français, s'ils pouvaient connaître les tractations et hésitations qui ont lieu dans les coulisses du pouvoir, l'impression que le remaniement est en quelque sorte imposé par les difficultés monétaires françaises et les froncements de sourcils de Bruxelles.
    Mauroy m'a vidé son cœur pendant ce déjeuner, mais pas entièrement : « Et encore, dit-il pour finir, je ne raconterai jamais toutes les allées et venues que j'ai faites en deux ans ! »
    Je n'arrive même pas à savoir s'il est triste de quitter Matignon aujourd'hui. Pour

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