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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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tonneaux d'encre. Le président de la République a été accusé d'intervention honteuse dans le vote de la Haute Autorité ; moi, d'avoir été emportée dans la tourmente comme un fétu de paille (ce qui n'était pas si faux). La presse quotidienne en a été remplie pendant toute une semaine. Moi, j'hésitais entre le suicide, non, j'exagère, la dépression et la démission. La presse hebdomadaire a pris le relais la semaine suivante. J'avais l'impression que ça ne s'arrêterait jamais, que la terre entière avait les yeux braqués sur moi. Sur nous.
    Paul Guimard m'a dit qu'il ne me pardonnerait jamais. Quoi au juste ? lui ai-je demandé. J'ai compris que ce qu'il ne me pardonnait pas, c'était surtout d'avoir révélé, en m'abstenant, qu'il obéissait sans doute, lui, à des consignes. Lui, l'écrivain libre de ses propos et de sa vie depuis tant d'années, l'homme charmant, disert, si drôle, que j'aimais tant, ce colosse vêtu selon le temps comme un gentilhomme campagnard ou comme un vieux loup de mer, lui qui n'avait jamais sacrifié sa vie aux honneurs ni aux dorures, passait, depuis notre vote, pour un abominable « sicaire ». C'est Jean Autin qui avait employé ce mot à son propos, après la désignation d'Héberlé.
    Gabriel de Broglie, qui avait politiquement des raisons de se réjouir de cet énorme raté, faisait également grise mine. Il avait fait, sans le vouloir, la preuve par l'absurde que l'indépendance de l'instance à laquelle il participait avait été mise à mal. Il m'en voulait presque de ne pas être arrivée à la protéger.
    Bref, cela a duré quelque temps. Un temps trop long pour moi ; pour tout le monde aussi, évidemment.
    Le président de la République était furieux d'avoir été embarqué dans une tourmente qu'il n'avait pas vu venir. À l'Élysée, l'entourage de Mitterrand, Attali plus que Bianco, abondait dans l'idée que j'aurais dû me soumettre ou me démettre, c'est-à-dire accepter Héberlé ou partir. Sans se rendre compte que j'y avais bien pensé, merci, mais que c'eût été au contraire signer non seulement mon échec, mais aussi celui de l'institution que le Président s'enorgueillissait d'avoir créée. Et que cela, je n'avais pas osé.
    À Matignon, Fabius était outré par ma résistance à laquelle, jusqu'au dernier moment, il n'avait pas cru.
    Le Parti socialiste n'était pas en reste, même si Pierre Mauroy tentait d'y calmer le jeu. Georges Fillioud était le seul à ne pas ajouter sa voix à celles de mes détracteurs, car il pouvait imaginer sans peine ce qui s'était passé.
    De ce charivari médiatique, les hommes politiques de l'opposition se mêlaient avec délice. Oh, l'article d'Alain Peyrefitte dans Le Figaro , plein d'insultes entrecoupées de mensonges ! J'aurais pu en rire si je n'avais craint d'en pleurer : Alain Peyrefitte, l'ancien ministre de l'Information de De Gaulle, qui intervenait lui-même dans le contenu du journal télévisé quand il était en fonctions, faisait reproche à la Haute Autorité de ne pas s'être montrée assez indépendante ! Quelle sinistre comédie !
    Et Philippe Tesson, mon ami de jeunesse et de toujours, mettant tout son talent acide, dans Le Quotidien de Paris , à me démolir ! Il est vrai qu'en 1983, parce que j'avais demandé à Libé , et pas à son journal, de rendre public un texte d'ailleurs prémonitoire sur le service public de la télévision, il m'avait traitée d'imbécile !
    Difficile de passer de l'autre côté du miroir. Critiquer le pouvoir ou l'approuver, le juger en tout cas, mettre en évidence ses faiblesses, en révéler les coulisses, en expliquer le cheminement, j'ai fait cela toute ma vie.
    Aujourd'hui que j'occupe un poste que je ne savais pas être aussi politique lorsque je l'ai accepté, je lis les articles de plusieurs de mes anciens amis (pas tous, heureusement) et je m'aperçois de l'effet que peut faire sur quelqu'un – homme ou femme – un pilonnage médiatique.
    J'ai eu beau me répéter que je n'avais, comme dans la chanson, « pas tué, pas volé », sortir dans le monde, comme on dit, a été pour moi, pendant toute cette période, à la limite du tolérable.
    Et puis, d'un seul coup, comme elle avait commencé, la tempête s'est apaisée. Le rouleau compresseur de l'actualité a changé de cours. Un silence total a succédé, en moins de temps qu'il en faut pour le dire, à l'intense agitation.
    Ainsi va la presse. Ce n'est pas moi qui, croyant en son

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