Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
tous ses textes et articles sur le sujet depuis les années 1950.
Ils ont aussi évidemment évoqué la situation politique du moment.
Maurice Faure me confirme que Mitterrand s'attend à une majorité absolue RPR-UDF à l'issue des élections, même s'il pense que d'ici là le PS va remonter légèrement. Il craint cependant d'appeler Jacques Chirac à Matignon de peur de renforcer son poids. Il pense à Chaban, qu'il juge trop mou, voire à Giscard d'Estaing. « Tout de même, lui a objecté Maurice Faure, rappeler Giscard comme Premier ministre, ça ferait un peu opérette ! »
Déjeuner avec Robert Hersant, jeudi dernier, le jour même où le sénateur Caillavet s'émeut du rachat du journal Le Progrès . Avec ce mélange de charme et de puissance qu'on lui connaît, Hersant me raconte qu'il ne s'attendait pas à ce que Jean-Charles Lignel, propriétaire du quotidien lyonnais, lui propose de le racheter. Il est conscient que ce rachat fait peur à tout le monde, pas seulement à gauche, mais à droite également, car aucun leader de l'opposition ne souhaite vraiment qu'Hersant fasse usage de sa puissance médiatique comme il l'entend. Il est prêt, s'il le faut, à revendre Le Figaro pour une télévision. Pourquoi Le Figaro ? « Parce que, dit-il, Le Figaro demande beaucoup d'efforts. À ma famille je préférerais léguer Le Progrès : c'est moins lourd, donc plus sûr ! »
On ne dit pas plus clairement qu'on n'a pas confiance en ses héritiers et qu'on ne les croit pas capables de faire ce qu'on a soi-même fait !
Il m'a invitée à déjeuner pour que je lui parle de la télévision. Évidemment je n'en fais rien. Je sais que le gouvernement tout entier ou presque – Fabius, Fillioud, d'autres encore – est en train d'élaborer un vaste meccano pour se doter, avec le concours actif du Président, de chaînes d'information qui résisteront à l'alternance. Officiellement, ils nous tiennent soigneusement à l'écart, ce que je préfère, les voyant sans arrêt changer de cap, promettre un jour à la CLT de disposer d'une fréquence, le lendemain assurer Publicis qu'il pourra en avoir une, la même. Le comble est atteint lorsqu'on voit le gouvernement se prosterner devant Maxwell, magnat anglais qui, sous prétexte qu'il est travailliste, est révéré en France.
Je vois les uns et les autres tirer à hue et à dia. Je ne comprends pas pour quelle raison tout le monde, y compris parfois Mitterrand, cherche à porter atteinte à la chaîne naissante d'André Rousselet. Car il est évident que si plusieurs chaînes privées, donc gratuites, voient le jour en France, la réussite d'une chaîne à péage, donc payante, déjà fragile, risque fort d'être compromise.
En fait, je crois savoir pourquoi. Toujours le problème de l'information ! Tous ces gens, aussi intelligents, aussi politiques, aussi doués soient-ils, pensent que s'ils distribuent des chaînes à ceux qu'ils croient être leurs amis, ils pourront avoir les journalistes de leur côté. Le calcul est simple : avec la cohabitation, Chirac pourra imposer sa loi au service public ; il faut donc que les chaînes privées appartiennent aux copains.
De tout cela, sur lequel je reviens ce soir, je ne dis rien à Hersant. Même si le président de la République n'est pas son ennemi personnel, il s'en faut 8 , je ne le vois pas faire cadeau aujourd'hui d'une chaîne à Robert Hersant ! Il faudra qu'il attende la prochaine majorité !
Comprenant que je n'ai pas grand-chose de positif à lui dire sur ses chances de se voir attribuer une chaîne à quelques mois des législatives, il change élégamment de sujet et parle politique. Il ne craint pas du tout de dire – et de dire aux personnalités de l'opposition qu'il voit beaucoup – que François Mitterrand peut fort bien être réélu en 1988, même après une cohabitation de deux ans. Contrairement à Raymond Barre, il est partisan d'une telle cohabitation et pense que Mitterrand peut s'en sortir à son avantage, « à condition, me dit-il, qu'il se taise dans les premiers mois ».
Le reste de la majorité ? Il n'aime pas Fabius, mais a de la sympathie pour Pierre Mauroy. Quant à l'actuelle opposition, il la voit durablement désunie par l'hostilité de Raymond Barre à la notion même de cohabitation : une partie des hommes politiques de droite lui donnent raison, une autre, qui est déjà en train de se distribuer les ministères, conteste le sens politique de Barre,
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