Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

acides les « préférences » de toute nature accordées à la Cinquième chaîne. Words, words, words ...
    Autre avantage : ne pas être mêlée à la bataille de l'amendement « Tour Eiffel », qui ferait rire, si j'avais le cœur à ça. Le site choisi par TDF pour construire, à marche forcée, les émetteurs de la 5 e chaîne ne convient pas. Pour que Mitterrand ait sa télévision avant les législatives, il faut émettre depuis la tour Eiffel. À qui appartient la tour Eiffel ? Au maire de Paris, car l'accord entre TDF et la société d'exploitation de la tour Eiffel stipule que le dernier étage de la tour est réservé aux chaînes nationales. La 5 e chaîne n'en est pas une : Chirac commence par accepter une négociation avec TDF, pose des conditions, et finit par refuser ses émetteurs ! Avant-hier, quelques jours avant la signature du contrat de la 5 e , Chirac a gardé sa tour Eiffel !
    Du coup, Fillioud, au nom du gouvernement, a déposé – ou s'apprête à le faire, c'est une question d'heure – un amendement autorisant TDF à installer ses équipements, c'est-à-dire ses émetteurs, sur tous les toits des bâtiments publics et privés. Ce qui englobe évidemment la tour Eiffel.
    Le ridicule ne tue pas, mais je suis assez contente que la Haute Autorité ne soit pas au milieu de la bagarre 4 .

    20 novembre
    Le contrat entre Jérôme Seydoux, Christophe Riboud et Silvio Berlusconi a été signé hier au siège même de Seydoux, aux Chargeurs réunis. C'est le gouvernement qui s'est déplacé, pas les trois nouveaux patrons de la cinquième chaîne !

    4 décembre
    Du jamais vu ! Le Président et Laurent Fabius en désaccord quasi public. Le Président a décidé de rencontrer le général Jaruzelski à Paris sans en parler à son Premier ministre. Interrogé à l'Assemblée nationale ce mercredi, dans le cadre des questions (télévisées) au gouvernement, Fabius, pâle, fait état de son « trouble » et défend le Président du bout des lèvres. Je ne sais si Mitterrand l'a vu ou entendu ; je ne suis pas du tout sûre, et c'est un euphémisme, qu'il aura apprécié.
    En tout cas, en l'occurrence, Fabius, que l'on affubla d'un parapluie au moment de l'affaire Greenpeace, ne manque pas de courage, même si je ne suis pas sûre qu'il ait raison.

    17 décembre
    Je reprends ce cahier, bien décidée désormais à y écrire tous les jours jusqu'en mars.
    Mercredi dernier, conseil d'administration du Siècle 5 . Bérard-Quélin y développe une théorie : Mitterrand changera de Premier ministre entre Noël et le jour de l'An. Motif : Fabius est, selon lui, complètement usé. Il n'a plus la confiance de Mitterrand. Il faut à celui-ci, pour réussir la prochaine cohabitation, négocier sans doute avant mars la composition du premier gouvernement issu des prochaines élections.
    Seul Roland Dumas est en mesure de mener à bien cette négociation, avec la confiance intacte du Président et grâce à ses talents bien connus de négociateur.
    Le changement n'a pu se faire à chaud, pendant la visite du général Jaruzelski en France, après le « trouble » exprimé par Fabius à la tribune de l'Assemblée nationale. Il est néanmoins inéluctable.
    Jérôme Monod paraît convaincu par la démonstration. Simon Nora et moi nous ergotons : maintenant, à trois mois des élections, changer de Premier ministre ?
    Je hasarde : « Tout de même, n'est-il pas un peu bête de “brûler” Dumas, qui, éventuellement, peut servir pendant la cohabitation ? »
    Monod se tourne vers moi : « Non, mais vous ne croyez pas sérieusement à un gouvernement social-démocrate de centre gauche ? Terminé, tout cela ! Fini ! Si l'opposition gagne, il ne sera pas question un seul instant d'un ami de Mitterrand à Matignon ! Chirac, et Chirac seul, peut être Premier ministre ! »
    Je demande : « Et pas Chaban ? »
    Réponse : « Non, évidemment, pas Chaban. Le RPR ne le tolérerait pas ! »
    Jean-Claude Casanova approuve : travaillant aux côtés de Raymond Barre, il est hostile à la cohabitation, comme Barre lui-même. Il la croit néanmoins, pour un temps, inévitable.
    Comme souvent dans cette enceinte, nous faisons, pour corser le débat et prendre des risques, un pari : Mitterrand sera-t-il encore à l'Élysée le 1 er  mai, le 14 juillet ou le 11 novembre 1986 ?
    Je parie, moi, que Mitterrand sera là le 1 er  mai et le 14 juillet, mais qu'il s'en ira en novembre. La