Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

qui, selon eux, n'en a jamais eu.
    En ce qui le concerne, il craint évidemment que le futur gouvernement ne lui donne pas ce dont il rêve : Antenne 2.
    Il aime bien Mitterrand et me dit que rien ne les aurait opposés au moment où le gouvernement a essayé, sans succès, de faire passer une loi sur la presse qui l'aurait plus ou moins dépossédé. Rien ne se serait passé, m'assure-t-il, s'il avait eu directement accès à lui. Mais Rousselet a été le négociateur désigné par Mitterrand :
    « Avec ce mélange de charme et de menace dans la voix, Rousselet a tout gâché. C'est lui aussi, me dit-il, qui a acculé Lignel à me vendre Le Progrès , car il ne voulait pas livrer combat contre lui. »
    Je sais qu'André Rousselet conteste cette version des faits. Hersant me la raconte-t-il pour que je la lui rapporte ? Je n'en ferai rien.

    Vu Jérôme Seydoux, hier soir, avec Serge July. Nous parlons du conflit ouvert entre la future cinquième chaîne et le BLIC, association des distributeurs et des producteurs de cinéma. Ceux-ci sont venus se plaindre auprès de la Haute Autorité du peu de cas que faisait le gouvernement de ses engagements en matière de cinéma.
    Seydoux en est tout à fait conscient. Il me dit que lui-même, à qui rien de ce genre ne fait peur, était partisan d'une négociation avec le BLIC, au lieu d'un passage en force qui va forcément se retourner contre sa chaîne. C'est le gouvernement, sans doute trop pressé de tenir cette chaîne sur les fonts baptismaux, qui lui a recommandé de n'en rien faire. Il n'a pas l'air de connaître Silvio Berlusconi, ni même de s'être renseigné sur l'image que celui-ci a en Italie. Lorsque Serge July lui explique que le Cavaliere a démoli le cinéma italien, que Canale 5, en Italie, a fait monter le prix des droits sportifs en Europe en surenchérissant sur la retransmission des Jeux olympiques, il en est le premier surpris.

    14 février
    J'écrirai le plus vite possible sur la Haute Autorité, dès que l'aventure sera terminée. J'en parle à Gabriel de Broglie. Trouve-t-il contraire à l'obligation de réserve d'écrire quelque chose, sous forme d'essai, dès la fin de l'année ? Il me dit qu'il ne le ferait pas lui-même, puisque après tout il est fonctionnaire. Ce qui n'est pas mon cas. Sous-entendu : je fais ce que je veux. Il ajoute comme un encouragement : « Si vous écrivez, ce sera votre version qui fera foi. Il ne faut pas la laisser faire par les autres. »
    J'ai aimé travailler avec Gabriel de Broglie, même si beaucoup de choses nous ont opposés. Je sais que ce sentiment-là paraît incompréhensible aux dirigeants socialistes qui m'en font reproche.

    22 février
    La chaîne musicale TV6 diffuse ses premières émissions. La 5 e aussi. Tandis que Canal +, après une période dramatique, atteint presque le million d'abonnés ! La chaîne à péage a donc réussi. Tant mieux !

    25 février
    Campagne pour les élections législatives. La pire, et depuis longtemps, pour l'opposition. Chirac, après un sans-faute de plusieurs mois, se met à dire trop haut qu'il veut être Premier ministre. L'UDF en profite pour dire que ce poste lui revient. Barre ricane. Bref, le piège de la cohabitation se referme, pour le moment, sur l'opposition. Soit qu'elle les divise, soit parce qu'elle la normalise, la banalise, ou plutôt la désacralise.
    Dieu, que d'inutiles erreurs commises par la droite ! Si l'union de la gauche n'avait pas été brisée, on se prendrait à croire à la possibilité d'un succès PS-PC !

    2 mars
    Intervention de François Mitterrand à la télévision. Tollé général : le Président s'invite alors que la campagne officielle vient de commencer ! Pas le dernier jour, certes, mais dans une période où les décomptes majorité/opposition sont scrupuleusement à égalité.
    La Haute Autorité est donc saisie par l'opposition, comme le Parti socialiste l'aurait sans doute fait si la situation politique avait été inversée.
    Embrasement général !
    Puis, plus rien. Il suffit que le Président apparaisse pour que chacun se taise. Pourquoi ? Parce que personne ne veut sans doute, dans l'opposition, risquer de mettre à mal la cohabitation qui s'annonce. Un tollé contre le Président, oui, en passant, mais pas davantage.

    7 mars
    Mitterrand à Serge July (raconté par July le 5 mars, après la sortie de son livre) : « C'est curieux, lui dit Mitterrand, vous êtes journaliste, et pourtant