Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
désistement sans accord sur le Programme commun. Pas question d'éviter les choses qui fâchent ! »
Bref, je n'en tire rien d'autre que ce constat : l'ennemi n o 1 est la social-démocratie. D'ailleurs, à ce qu'il m'en dit, c'est le maire de droite de Caen, Girault, qui a tout fait dans la ville, tandis que Mexandeau est dévalué, inutile, pour ne pas dire nul.
« Rien n'aurait été pire, appuie-t-il, que de participer à un pouvoir social-démocrate. À partir du moment où nous ne voulions pas participer à une politique d'austérité, de restrictions, il valait mieux casser tout de suite plutôt que plus tard ! »
Il me semble que derrière tous ces propos, plus directs et moins controuvés que ceux de Roland Leroy l'autre jour, on peut discerner une condamnation de Georges Marchais, accusé d'avoir « engraissé » le Parti socialiste au détriment du Parti communiste. Selon Metzger, Roland Leroy aurait été un bien meilleur secrétaire général du PC. Ira-t-il jusqu'à condamner Marchais au prochain comité central ? Tous ces gens se tiennent par on ne sait combien de cadavres...
Il ne nie pas non plus qu'au moment où il aurait fallu au Parti un Togliatti, comme en Italie, les communistes français n'ont eu droit qu'à un Thorez vieillissant, presque gâteux, puis à Waldeck Rochet, malade.
13 février
Je n'ai pas eu le temps d'écrire sur le dernier dîner avec Mitterrand, il y a quelques jours. J'y reviens aujourd'hui dans ma chambre d'hôtel de Caen.
Cela s'est passé chez Dodin-Bouffant, le 9 février, à quelques centaines de mètres à peine du domicile de François Mitterrand. Il adore ce restaurant au décor anonyme, pas seulement à cause de sa proximité, mais parce qu'il y aime les huîtres qu'on lui sert. Dire que Mitterrand aime les huîtres est un euphémisme. Il les gruge goulûment, la douzaine vite épuisée. J'ajoute que chez Dodin-Bouffant, les huîtres ne ressemblent pas aux autres : elles sont d'une espèce particulière sur laquelle le patron s'étend devant nous, ce soir-là, avec volubilité – ce sont des coquillages monstrueux, sombres, presque ronds, hérissés de pointes comme des hérissons. Mitterrand s'en délecte. La petite troupe qui l'accompagne aussi : il y a là Georges Dayan, bien sûr, Claude Estier, Louis Mermaz, Charles Hernu, d'autres encore. Par un privilège inouï, et surtout parce que je devais rencontrer Mitterrand, auparavant, vers 19 heures, j'ai participé au dîner. Que dis-je, au dîner ? Au carnage de bourriches entières !
Une seule grande table au fond de la salle voûtée. Mitterrand au milieu, entouré, comme dans la Cène, de ses apôtres, distille sa pensée dans le recueillement de ses amis qui écoutent la vérité sortie de sa bouche. Pas la moindre remise en cause, jamais, de la pensée mitterrandienne. Peut-être y a-t-il des endroits où l'on s'interroge, mais en tout cas pas pendant ces pauses dînatoires.
Mitterrand se lance dans un long monologue pendant lequel il n'est pratiquement pas interrompu. Je n'ai pas pu écrire sur le moment. Je retrouve aujourd'hui ce que j'en ai noté au dos du menu :
« Que le PC retire ou non ses candidats, qu'il se désiste ou non pour nous, je suis incapable, dans l'état actuel des choses, de savoir ce qu'il va faire. Une chose est sûre : je me suis mis – le PS s'est mis – hors de sa portée. De deux choses l'une : il se désiste et, dans ce cas, la victoire de la gauche est pratiquement certaine. Nous signons au lendemain du premier tour un accord sur les principales réformes à mettre en œuvre. Et nous attendons de pied ferme le second. Ou bien le PC ne se désiste pas. Dans ce cas, pas de victoire de la gauche. Mais alors, dans quelle situation nous serions ! Parti préféré des électeurs, froidement assassiné par les communistes ! Peu importe le nombre de députés que nous aurions ! Le PS sera d'autant plus aimé qu'il n'assumera pas les responsabilités du pouvoir. Nous pouvons tranquillement attendre la suite des opérations. »
Un temps, et puis, au moment où reprend le bruit des fourchettes, il ajoute :
« Relisez De l'amour de Stendhal. Le PS sera comme un héros stendhalien, aimé parce que intouchable, adoré parce que lointain. »
16 février
Que retirer de ma rencontre avec Marchais, aujourd'hui, hormis que j'ai effectivement l'impression qu'il est beaucoup moins dur que Leroy avec les socialistes, notamment sur le problème des
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