Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
désistements, ainsi que sur un accord, qu'il dit toujours vouloir, avec François Mitterrand ?
C'est pourtant ma conversation avec Michel Cardoze 17 , hier, le 20, qui est de loin la plus importante. Il ne nie pas qu'il y ait plusieurs courants dans le Parti communiste. Le premier courant (Leroy) est constitué de ceux qui pensent qu'il ne faut pas arriver au pouvoir dans les conditions actuelles. Ceux-là s'accommoderaient très bien d'une défaite de la gauche aux élections de mars, voire la préféreraient. Le second courant (Marchais) estime impossible de rester à l'écart d'une victoire populaire s'il apparaissait, à l'issue du premier tour, qu'elle soit possible. Entre les deux courants, les points communs : le désir de développer d'abord le Parti communiste, de borner les ambitions du Parti socialiste, bref, de ne pas se faire « bouffer » par lui. Donc, l'attitude du Parti communiste dépend des résultats du premier tour. Si le PC obtient plus de 20 % des voix au premier tour, le 12 mars, Georges Marchais dira qu'il est prêt à appliquer une plate-forme commune. Il appellera donc au « désistement républicain ». S'il a moins de 20 %, s'il apparaît affaibli, aucun accord ne se fera à gauche.
Voilà qui a le mérite d'être clair.
20 ou 21 février
Chirac à Montpellier
Je commence à ne plus savoir où je suis, à force de filer de ville en ville. Comme les candidats que j'escorte, entre hôtels, trains, aéroports, je suis hors du temps...
Hier, Jacques Chirac n'a pas dit grand-chose dans l'avion qui l'emmenait à Montpellier, sauf cette phrase sur les communistes qu'il me chuchote au creux de l'oreille : « Ils jouent bien, les communistes, en ce moment : réclamer des ministres communistes au gouvernement, c'est un bon slogan pour nous ! » Il me cite les sondages en sa possession sur la gauche : le Parti communiste serait crédité de 21 % des intentions de vote, tandis que le PS obtiendrait un point de moins. Tout ce qui va dans le sens d'un affaiblissement des socialistes et de François Mitterrand lui convient à merveille. Il s'en délecte d'avance !
À son arrivée à l'hôtel de ville, il a reçu quelques journalistes et a lâché quelques petites phrases bien senties sur l'UDF, puisque s'appelle ainsi désormais le mouvement qui réunit giscardiens, centristes et radicaux (il paraît que c'est Jean-Jacques Servan-Schreiber qui en a trouvé le nom : Union pour la démocratie française).
« Cette histoire de l'UDF, dit-il, c'est une hérésie ! En en prenant la tête, le président de la République ne se rend pas compte qu'il commet une grave erreur : il devient le chef d'un certain nombre de députés élus pour lui et par lui. Ce qui sous-entend a contrario que les députés RPR ne seront pas élus avec lui, mais contre lui. Les miens, donc, disent à qui veut les entendre : “Ah oui, nous sommes élus contre Giscard, contre son gouvernement ? Eh bien, ils vont voir la vie qu'on va leur mener !” Du coup, la campagne que mène le RPR est beaucoup plus aigre, agressive à l'égard du Président et de son gouvernement. À l'issue du premier tour, Giscard aura fait la démonstration qu'il est le président de 18 % des Français seulement. Ce qui affaiblit la fonction présidentielle.
« Oh, ajoute-t-il, persifleur, il en fera alors un peu plus dans le libéralisme mondain ! »
Je lui demande si les bataillons RPR assistent aux réunions de Raymond Barre. Il me répond, rigolard : « Ma consigne aux militants pour les meetings de Barre ? Envoyer mille militants de moins que pour mes propres meetings ! »
Là, j'en suis sûre, il ment comme un arracheur de dents. Je suis convaincue qu'il leur demande tout simplement de ne pas y assister !
Voici venue l'heure du meeting. Lorsqu'il parle, Chirac reste curieusement gauche, lève les bras en V de la victoire au-dessus de sa tête, avec ce curieux sourire qui est le sien, tantôt plaqué sur son visage à contretemps, tantôt reflétant au contraire une réelle gentillesse. À la tribune, il est tour à tour étranger et présent, hors du monde parfois, lorsqu'il ne se surveille pas et se laisse aller à penser à autre chose, et à d'autres moments, au contraire, proche des gens, tendant ses mains vers la foule. Je retiens de ce discours électoral prononcé sans éloquence excessive, c'est le moins qu'on puisse dire, une phrase : « Nous devons, à ces primaires, battre la droite au
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