Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
assure Mauroy, nous signerons un pacte commun de gouvernement qui n'aura pas la même ambition que le Programme commun, qui sera plus modeste mais plus réaliste. »
À opposer à ce que m'a dit Pierre Bérégovoy qui assistait en observateur, je ne sais pourquoi, à la réunion du conseil régional : « C'est fini, maintenant, il faut que l'un des deux partis se couche, ou le PS ou le PC. Si le Parti socialiste est fort et ferme, il n'y aura pas de problème, et Mitterrand aura réussi son pari. »
Un silence. Et puis cette interrogation qui révèle que son optimisme n'est pas aussi solide que cela : « Vous le croyez, vous, qu'on gouvernera ensemble ? On va peut-être faire un pacte de gouvernement, oui, mais je suis sceptique... Si les communistes restent sur cette pente... »
26 janvier
Conversation avec Jean-Jacques Servan-Schreiber qui me parle de ce que va dire Giscard, demain, à Verdun-sur-le-Doubs dans le discours où l'on sait déjà qu'il appellera au « bon choix » pour la France. « Et d'ailleurs, me dit J.-J. S.-S., il n'a plus rien à dire : il a oscillé sans arrêt entre Chirac et moi. La stratégie que je lui proposais était simple ; il fallait dire : « Vingt ans de gaullisme, ça suffit ; voici quels sont mes candidats à moi, Giscard, pour la France. Votez pour eux ! »
Nous en revenons toujours là : Giscard n'a pas osé rompre avec Jacques Chirac et avec le RPR. Il n'a pas osé prendre ses distances, imposer sa propre majorité, tant pis pour lui 12 !
1 er février
Question : pourquoi les communistes ne passent-ils pas un jour sans réclamer, sur l'air des lampions, la présence de ministres communistes dans le gouvernement de la gauche si celle-ci gagne les prochaines élections ? Lundi dernier, à l'issue du comité central, puis hier sur Antenne 2, Georges Marchais s'en donne à cœur joie. La thèse officielle est celle-ci : en cas de gouvernement de la gauche, le PC ne soutiendra pas seulement le gouvernement, il y participera.
Il me semble d'abord que, pour qu'il y ait gouvernement de la gauche, il faudrait d'abord que la gauche gagne. Or Georges Marchais continue à ne pas s'engager : désistements ou pas ? Il lie bizarrement le deuxième tour au score obtenu par les communistes au premier : si le PC obtient un nombre de voix honorable, il acceptera que ses candidats se désistent pour les socialistes au second. Il refusera de le faire s'il est trop faible. Oui, c'est une attitude bizarre, car elle consiste à pénaliser son partenaire avant même de gagner.
Force est donc de convenir que si Marchais en fait trop sur les ministres communistes, c'est qu'il craint une victoire de la gauche et attise volontairement les peurs.
À rapprocher de ce que le secrétaire général du PC avait déjà laissé échapper en novembre dernier 13 : « Si la gauche ne l'emporte pas ce coup-ci, ce sera pour la prochaine fois ! »
Ah ça, il n'est pas pressé !
6 et 7 février
Après Lille, Rouen où Roland Leroy doit tenir ce soir un meeting. Il ne me dit rien, si fatigué qu'à peine installé dans la voiture où il a accepté ma présence et celle du journaliste de L'Humanité Jean Le Lagadec, il s'endort. Il finit par se réveiller et me parle en langage quasiment codé. Si j'ai bien compris, ses attaques provocatrices contre le Parti socialiste signifient une mise en garde nette (ou une intox ?) : les candidats du Parti communiste ne se désisteront pas pour les socialistes, sauf si, au dernier moment, bien sûr, Mitterrand cède et accepte une négociation en trente-six heures sur le Programme commun. Ce qui me paraît totalement invraisemblable.
Hier soir, Leroy se déchaîne donc contre Mitterrand : Mitterrand a osé recevoir Willy Brandt 14 à Paris, deux jours avant la visite de Schmidt à Giscard : « Si nous avions fait ça, s'exclame-t-il, imaginez si nous avions reçu un dirigeant soviétique deux jours avant une rencontre Brejnev-Giscard ! »
Il prend une feuille de papier, trace une ligne dans le sens de la longueur et me demande : « Voulez-vous que nous fassions la liste des socialistes qui ont trahi ? » et il écrit : « Laval, Déat, Marquet, Montagnon 15 ... »
Il s'interrompt. Long échange avec son compère Le Lagadec sur le fait de savoir si Robert Lacoste 16 a trahi son parti et sa cause. « Non, conclut Leroy après réflexion, il n'a fait qu'exécuter la politique de Guy Mollet en Algérie ! »
Et
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