Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Léon Blum ? Moue de Leroy : « Blum ? Bof ! On ne sait pas trop. Il paraît qu'il n'a rien trahi parce qu'il n'avait rien à trahir ! »
Blum, traître ? Ciel ! Si Mitterrand entendait cela !
Au moment où je me fais cette réflexion, Leroy m'interroge non sans provocation : « Mitterrand ? C'est vrai qu'il se prend pour Léon Blum, qu'il veut l'imiter ? »
Il rit encore quand je lui parle de sa photo hilare, à la Fédération de la gauche, avec Waldeck Rochet, quand il se fichait ouvertement de la cour qu'entretenait Mitterrand autour de lui.
7 février
Tour de France, toujours : je suis en Vendée avec Hervé de Charrette. Il résume les deux inconvénients de la campagne : le combat entre giscardiens et chiraquiens ne cesse de se durcir à l'approche de l'échéance. Les notables, devant la double candidature, restent l'arme au pied en attendant le deuxième tour.
Aujourd'hui, me voici à Caen où Louis Mexandeau, socialiste, ne me parle que du problème communiste. Curieuse campagne dans laquelle le principal ennemi de la gauche dans l'opposition est la gauche, où le principal ennemi de la droite au pouvoir est la droite. C'est fou ! Lorsque je rencontre un socialiste, je ne l'entends parler que des communistes auxquels il espère piquer le maximum de voix. Lorsque je rencontre un giscardien, il ne me parle que de Jacques Chirac. Aujourd'hui, c'est au tour de Mexandeau de me parler de son principal adversaire communiste, Joe Metzger.
« Le PC, me dit-il, est très impopulaire ici. Metzger est un apparatchik autoritaire ! »
Les problèmes avec les communistes existaient ici, me dit-il, bien avant la rupture de septembre. Alors, après... !
Face à lui, qui ne m'enthousiasme pas, je trouve son adversaire de droite, Girault, sympathique et courageux. Il vient de lui arriver un drame : son fils a été publiquement convaincu d'usage de drogue. À quelques mois des élections, l'affaire avait évidemment de quoi le couler auprès de son électorat plutôt bourgeois. Il aurait pu nier, se débrouiller pour étouffer l'affaire, ou jeter l'éponge tout simplement. Eh bien non, il a contre-attaqué, il a dit qu'un tel drame était horrible pour un père. Il a retourné la situation et est devenu la victime de temps difficiles. Les Caennais ont partagé sa souffrance : loin de le condamner, ils l'ont soutenu avec émotivité et sensibilité. On me dit qu'il a dû, dans l'affaire, gagner 3 ou 4 % des voix. Je trouve que c'est une assez belle histoire.
Quant au fameux Joe Metzger, il me reçoit longuement, costume gris rayé, chemise bleue, cravate bordeaux. À son tour de mettre les embarras de la gauche sur le dos de Mexandeau : c'est la faute du socialiste si les accords n'ont pas pu être conclus. Mexandeau a voulu gagner sur le centre en gardant l'électorat populaire, il n'y est pas parvenu, tant pis pour lui ! Metzger voit un « très grand avenir » devant le Parti communiste. Sa théorie : « Caen est une ville où la classe ouvrière est très jeune, elle a été tentée un moment par la social-démocratie, mais elle va revenir vers le Parti communiste. Si ce n'est pas maintenant, ce sera plus tard ! »
Je parcours des yeux la pièce où il me reçoit. C'est un vrai professionnel de la politique ; toute la littérature de la campagne est sur son bureau : le Programme commun réactualisé (version PC), le programme de Blois, quelques textes de Giscard, sans oublier le programme du Parti socialiste. Curieux mélange, ce type : il est « leroyiste » sur une ligne dure, ultra-dure.
« Vous connaissez la théorie du coucou qui est celle de Roland Leroy, me dit-il. Les socialistes ont déposé des œufs dans notre nid et ils les ont fait grandir et prospérer. Il fallait au contraire que l'union nous profite à nous, et pas aux socialistes. Marchais l'avait bien compris lorsqu'il a fait ce rapport au comité central, en 1972, où il appelait à la méfiance vis-à-vis du PS ! Il fallait faire l'union sur une base de sévérité, sans trop de concessions au Parti socialiste. C'est ce qu'il disait, et il avait raison de le dire, mais ce n'est pas ce qu'il a fait. Maintenant, peut-être est-il trop tard. »
Je l'interroge sur les désistements éventuels entre les partis de gauche pour le deuxième tour.
« Si le Parti communiste est trop faible dans un mois, cela voudra dire que les Français ne sont pas assez mûrs pour le changement. De toute façon, pas de
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