Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
premier tour, pour battre la gauche au second ! » Autrement dit, l'adversaire du premier tour, c'est l'UDF : tout faire pour que le RPR devance, le 13 mars, le nouveau parti giscardien !
Je repense, pendant que le meeting de Chirac se déroule, à mes conversations d'il y a quelques jours, la première avec François Mitterrand (le 9 février), la seconde avec Marchais (le 16). Mitterrand m'a donc fait, le 9, la démonstration que le Parti socialiste, s'il ne parvient pas au pouvoir en 1978, sera un parti adoré parce que trahi, assassiné, poignardé dans le dos.
Je doute de sa placidité, car je commence à bien le connaître : je sais qu'il a toujours deux fers au feu, même quand il paraît le plus démuni. Il se peut qu'il envisage pour le PS, surtout si celui-ci était largement gagnant, une possibilité de se rapprocher de Giscard, ou plus exactement d'envisager de faire un bout de chemin à l'hôtel Matignon avec lui à l'Élysée – contrairement à ce que m'a dit Mauroy il y a deux jours, mais Mauroy ne dispose à mon sens que d'un seul pan de la pensée de Mitterrand.
Mais, dans l'hypothèse où le PC se désisterait, il me semble que François Mitterrand laisse la porte grandement ouverte. Dans ce cas, il est prévu que le 13, entre les deux tours, un accord politique puisse être signé entre PS et PC : « On pourra, m'a-t-il dit, toujours inscrire, si on le veut, une dizaine de grands objectifs communs entre nos deux partis. Les communistes pourront toujours dire : on n'a pas réactualisé le Programme commun, mais c'est tout comme. Quant aux socialistes, ils argueront qu'il n'y a pas eu de renégociation du Programme commun. »
Donc, il envisage toujours la possibilité de sauvegarder l'union de la gauche si la volonté politique existe de part et d'autre.
Je lui ai dit sans insister – car nous n'étions pas seuls lorsqu'il a développé ses arguments chez Dodin-Bouffant – que mon voyage en France d'une circonscription à l'autre m'incitait à croire le contraire – pour les élections qui viennent, en tout cas. Je n'oublie pas le tir de barrage des communistes, de tous côtés, contre les socialistes. François Mitterrand me dit ne pas avoir recueilli cette impression au cours de ses déplacements à lui, qui n'a pourtant pas chômé ces dernières semaines.
Pourtant, une semaine plus tard, Georges Marchais ne m'a pas dit le contraire, parce qu'il me paraît, tout compte fait, plus souple que Leroy, plus aimable, plus ouvert avec le PS. On me cite ce duel avec Alain Peyrefitte, sur Antenne 2, que je n'ai pas pu regarder, et où, paraît-il, il a refusé de croiser le fer avec les socialistes, ce à quoi l'incitait fortement Peyrefitte, qui voyait le parti qu'il aurait pu en tirer. Roland Leroy, en revanche, opposé à Jean-Jacques Servan-Schreiber sur les antennes de la même station, ne s'était pas gêné, devant le président du Parti radical, pour accabler de ses railleries les socialistes.
Si Georges Marchais avait les coudées franches, je mettrais ma main à couper qu'il imposerait les désistements. Les a-t-il ?
Retour de Montpellier, dont je retiendrai essentiellement qu'après le meeting auquel nous avons assisté, une panne de courant a plongé dans l'obscurité l'hôtel où nous étions tous descendus, politiques et journalistes. Un sabotage ? Un moyen, pour les hommes, de gagner en toute sécurité les chambres des femmes ? On ne le saura pas. L'hôtel, plongé dans la nuit jusqu'aux aurores, est resté silencieux.
Déjeuner avec Michel Rocard (sans date précise)
Quelle hargne, quelle rogne contre le « monarque » (c'est le surnom qu'il a donné à François Mitterrand) ! Il l'accuse de tous les maux, et surtout de lui avoir retiré le dossier des nationalisations pour le confier à Pierre Joxe. Pourquoi à Pierre Joxe ? Parce que celui-ci est plus « dogmatique » que lui, me dit-il. Il accuse Mitterrand de n'être qu'un politique, de privilégier toujours ses desseins politiques par rapport aux nécessités économiques. Bref, de manquer de sérieux. Pour faire bonne mesure, il trace un tableau apocalyptique de ce qui nous attend : le drame dans les huit mois qui suivront la prise du pouvoir par les socialistes, l'inflation, les entreprises qui ferment. Alors, diable, qu'y fait-il, au Parti socialiste ? Il me répond : « Vous remarquerez que je ne dis rien depuis deux ans... De toute façon, Mitterrand m'a toujours donné tort : j'ai
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