Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Dans quel état est Jacques Chirac, que je n'ai pas vu depuis la campagne ? Perd-il les pédales 30 ?
11 avril
Dîné avec Olivier Guichard chez Roger Stéphane. Il est accablé, littéralement, par la dérive du RPR chiraquien. Au fond, il n'a jamais aimé Chirac, dont tout le sépare. Pas seulement la conception du gaullisme, mais la conception de la politique elle-même. L'activisme de Chirac l'exaspère, ses conseillers aussi, et surtout le ton personnel, revanchard, sur lequel se passe ce règlement de comptes, qu'il juge inutile, entre Chirac et Chaban. Encore qu'il soit tenté de minimiser le rôle de Chirac là-dedans. Lui aussi souligne le rôle de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet dans cette affaire. C'est presque pire : Chirac est-il à ce point déterminé par ses conseillers ?
17 avril
Rencontre avec Philippe Robrieux, devenu, après son exclusion ou son départ du PC en 1968, historien du communisme. J'éprouve à son sujet une curieuse impression. D'un côté, j'aime son énergie, sa résistance : il n'a pas été, comme tant d'autres anciens du Parti, anéanti par l'exclusion dont il a fait l'objet. De l'autre, je me demande comment cet homme encore jeune peut consacrer toute sa force à lutter contre le parti qui a été le sien. Ne peut-il tourner la page ?
De la difficulté d'être renégat...
D'ailleurs, je suis injuste : je trouve insupportables ceux qui acceptent les oukases du Parti sans les remettre en cause ; et suis circonspecte avec ceux qui les refusent...
Toujours est-il qu'il m'a décrit longuement, à son domicile, quelque part sur les Hauts de Suresnes où je le rencontre, ce qui est selon lui la caractéristique essentielle du Parti communiste : la profonde différence qui existe entre les professionnels du Parti, réseau monolithique, unifié, placé sous la dépendance du secrétaire général, et sa base, souvent plus jeune et néophyte. Si la discussion est si dure au sein du PC, c'est que les professionnels, les permanents, doivent tout au Parti qui les emploie, ce qui limite singulièrement leur indépendance d'esprit. Robrieux pense que la crise que traverse en ce moment le Parti est particulièrement grave, parce que les deux catégories de communistes, ceux de la base et ceux du sommet, sont en train de faire leur examen critique – et celui de la direction du Parti.
« Quand on regarde les permanents, me dit-il, une comparaison vient à l'esprit : c'est la comparaison avec la société médiévale, celle des constructeurs de cathédrales, où il n'y avait pas de place pour l'athéisme, pour le doute critique vis-à-vis des dogmes fondamentaux de la chrétienté. »
Jusqu'où ira la crise ? C'est là que sa réponse me surprend : il me dit que si l'appareil se disloque, elle peut aller jusqu'à la remise en cause de Georges Marchais, lequel – c'est son expression – n'a jamais été « accepté » par le Parti. Pourquoi ? Parce qu'il y a rétabli, après l'ère du modeste Waldeck Rochet, le culte de la personnalité. Et puis aussi parce que son marxisme laisse à désirer : « Vous n'arriverez jamais à faire passer Marchais pour un marxiste aux yeux d'hommes comme Althusser ou Jean Elleinstein ! »
19 avril
Rentrée parlementaire et premier discours de Raymond Barre, renommé à son poste, devant la nouvelle Assemblée nationale. Les différents orateurs ont appris à parler pour la télévision : Barre, Debré, Mitterrand, ils ont tous mis une chemise bleue, pas blanche, comme on le leur a recommandé à l'occasion de la dernière campagne législative.
Curieuse atmosphère où chacun, si j'ose dire, parle sous lui, sans écouter les autres. Il s'agit d'une sorte de succession de monologues. Chacun enfourche ses dadas favoris.
Raymond Barre lit de sa voix monocorde un discours qui n'en finit pas. Dans la forme, il est assez terne ; sur le fond, le discours de Blois reste sa référence. Ce qui a changé, c'est la victoire aux législatives dont il est sûr d'avoir été le principal artisan. Il ne cache pas son contentement devant ce qu'il a appelé la « maturité » des Français qui ont préféré la majorité à l'aventure.
Jacques Chirac, lui, est hérissé, d'une nervosité évidente depuis que son homme, Edgar Faure, a été battu au perchoir. La victoire de la majorité, il croit être le premier à avoir contribué à l'obtenir. Pourtant, dès le premier enjeu, celui de la présidence de l'Assemblée
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