Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
d'anévrisme, dimanche 25, à 6 heures du matin, chez André Rousselet, près de Paris, où il passait le week-end. Le médecin, appelé, diagnostique une colique néphrétique. Dieu merci, il l'a expédié à l'Hôpital américain, car il n'avait rien d'assez puissant pour soulager sa douleur. C'est à Neuilly, donc, que la rupture d'anévrisme a été détectée.
On pourra le sauver, mais Rousselet est dans tous ses états.
28 juin
Conférence de presse de Michel Rocard.
« Êtes-vous le spectre qui hante les socialistes ? » lui demande André Chambraud.
Michel Rocard tente la plaisanterie : « Je me voyais, dit-il, vêtu moins de squelette et plus de chair. » Il refuse de résumer la vie du Parti aux « remous de sa direction ».
Le Parti est-il nécessaire pour prendre et assurer le pouvoir ?
« Interrogation fondamentale, répond Rocard, qui ne perd pas une occasion de théoriser. Il n'y a pas de société humaine gouvernée sans structures intermédiaires. Le rejet de la notion de parti est la menace la plus grave qui pèse sur l'avenir de la société française. » Plus prosaïquement, il ajoute : « Ce sont les partis politiques qui donnent les investitures pour les élections. Un point, c'est tout. Ce sera le cas tant qu'on n'aura pas trouvé un substitut aux partis politiques. Le problème du PS tourne autour de l'exercice du pouvoir au sein du Parti. »
Mais Rocard ne veut pas se laisser enfermer dans la discussion interne au PS. Dans son langage inimitable, parce que en plus de son débit rapide et saccadé, il parle le plus souvent par métaphores, sous-entendus, avec des références permanentes et souvent difficilement compréhensibles à l'histoire du socialisme, il parle de l'expérience Barre :
« Il faut remonter, dit-il, à Tardieu, avant guerre, pour avoir une expérience aussi cohérente de gestion économique sous l'égide des lois du capitalisme. La France, avec lui, est aux premières loges d'une expérience unique dans le monde aujourd'hui : le libéralisme absolu. »
Il n'y a pas, selon lui, de plus bel enjeu, de plus beau combat pour la gauche. Mais ce combat-là, selon lui, est rendu impossible par « les conditions de fonctionnement internes au Parti socialiste » ! Cela veut dire en clair qu'il souhaite un débat au sein du Parti socialiste, mais qu'il juge que cette discussion est difficile pour lui et les siens. Comme il reste très prudent avec Mitterrand, il commence par souligner que, par rapport à Guy Mollet qui l'a précédé, Mitterrand a accompli quelque progrès dans le sens de la démocratie. Il le fait du bout des lèvres, car la phrase qui suit cet éloge est, pour le coup, assez claire : « La structure du pouvoir au sein du PS, ajoute-t-il, doit être en mesure de trancher les conflits et les successions. »
Succession : le mot est lâché, celui que nous attendions tous depuis le début de la conférence de presse !
D'un coup, il se montre plus prolixe sur la vie interne au Parti. Il le fait avec une bonhomie apparente et une vacherie inouïe : « Il est clair que l'union fait la force, mais il est certain aussi que l'unanimisme est sclérosant. »
Puis il énumère les opacités internes au Parti. La première est due à ce que « l'autorité nécessaire de François Mitterrand a occulté depuis des années les débats internes ». La seconde tient aux courants historiques du socialisme en France, scindé en deux traditions : celle du Parti socialiste institutionnel, et celle, à laquelle il ne se cache pas d'appartenir, de l'union des forces anti-étatiques, coopératives, communautaires, proudhoniennes, décentralisatrices. « Ceux qui ont de l'autorité sur le Parti n'ont pas cette sensibilité-là. »
Rocard tient ainsi des propos rigoureusement analogues à ceux de François Mitterrand : deux courants dans le socialisme, et celui de Mitterrand n'est pas celui de Rocard.
Faut-il vraiment un programme à la gauche ? lui demande-t-on.
« Oui et non, répond-il. Pour conserver, il n'y a pas besoin de programme. Pour changer, en revanche, la gauche a besoin d'annoncer ses intentions. » Il ne se déclare pas ainsi totalement hostile à l'idée d'un programme commun, même s'il juge qu'il faut davantage essayer de faire la synthèse entre le moyen et le plus long terme. Dans ce projet, manquaient selon lui une vraie description de la « rupture » avec le capitalisme (« Elle sera faite le jour où
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