Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
fondée en grande partie sur son amitié et ses fréquentes rencontres avec Helmut Schmidt.
Il m'en dit un peu plus sur le fonctionnement des institutions. La répartition des rôles entre Matignon et l'Élysée est bien huilée. L'Élysée a gardé son rôle d'impulsion, Barre n'a pas d'autre responsabilité politique, me dit-il, que celle – et ce n'est pas rien – de présenter un programme de gouvernement. Le Premier ministre, semble-t-il, « accepte très bien la règle du jeu présidentiel ».
Il convient que le régime est hybride, pas vraiment présidentiel, pas vraiment parlementaire. « Dans ce sens, depuis le discours du 16 septembre prononcé par Chaban en 1969 (à la rédaction duquel il avait d'ailleurs participé), le régime a évolué de façon présidentielle. » Pour toute décision, il semble donc qu'il y ait, selon sa formule, « un double agrément ».
Fin juin
La victoire de Giscard aux élections a véritablement changé la donne de la vie politique. On a l'impression que rien ne le menace plus : Mitterrand et le Programme commun à terre, Chirac tour à tour agité et silencieux.
J'ai une longue conversation aujourd'hui avec Michel Poniatowski à qui je souhaite demander les « clefs » de Giscard, son moteur, ce qui le fait courir. Ponia marque un temps puis me livre son analyse. Il le fait plus en historien qu'en ami (d'ailleurs je ne sais même pas s'il a pardonné à Giscard son éviction du gouvernement en 1976). Il parle assez lentement, comme s'il se répondait à lui-même :
« Pas de démagogie du tout chez Giscard, il est resté ministre des Finances. Il préfère mettre le temps de son côté : c'est ainsi qu'il prévoit ses actions longuement à l'avance, tournant dans sa tête les schémas, les modèles, les hypothèses. Il est attentif à laisser ouvertes les solutions aux problèmes, à ne pas se laisser enfermer dans telle ou telle stratégie dont il ne démordrait pas. »
Je le laisse parler sans rien dire, à son rythme réflexif.
« Son pouvoir de concentration sur un objectif est puissant. Il est peu sensible aux avis, et pourtant il en prend beaucoup : ils servent à nourrir son ordinateur personnel. Cela a été le cas, par exemple, lorsqu'il a pris la décision d'intervenir dans la campagne législative avant le premier tour. J'avais plaidé en ce sens. Là, tout récemment, le 18 juin dernier, il m'a montré la liste de ceux qui lui avaient conseillé de le faire, composée de trois noms, et la liste, beaucoup plus longue, de ceux, une quarantaine, qui étaient hostiles à toute intervention. » Il ne peut manquer d'ajouter en confidence : « Le Premier ministre était de ceux-là ! »
« Il est vrai que sa décision est solitaire, certes, mais elle ne se mûrit pas sans concertation. Ce n'est pas pour lui le poids des hommes qui compte. »
Nous passons à une autre qualité politique qu'il prête à Giscard : la persévérance.
« Il est accroché comme une teigne une fois qu'il est convaincu de la nécessité de son action. Cela a été le cas au moment où il a lancé l'idée de la “société décrispée”, ou lorsqu'il parle de la social-démocratie. Ses grands thèmes viennent de loin, il ne se laisse jamais aller à lancer une idée nouvelle sans avoir beaucoup médité. Par exemple, les travaux des clubs Perspectives et Réalités, de 1968 à 1971, l'ont beaucoup alimenté. La plupart des lois des premiers mois du septennat correspondent aux travaux de 1972. Il veut une politique moderne pour la France, plus égalitaire, plus juste. Il regrette que les socialistes n'aient pas compris quel était son état d'esprit. Cela ne change rien à sa détermination : il ira son chemin, même si les socialistes continuent à ne pas l'entendre. »
Est-il parfois indécis ?
« Il montre une vraie tolérance à l'égard des attitudes, des réactions des gens. Cette tolérance ne signifie pas absence de volonté. Ce que Françoise Giroud appelle indécision est en réalité un stade de sa réflexion. Au contraire, poursuit-il, on peut cracher en l'air, quand il a décidé de faire quelque chose, il le fera ! Cela a été le cas, dernièrement, pour le raid de Kolwezi : Robert Galley était contre, les militaires estimaient l'opération trop risquée, Guiringuaud 40 était également contre. Eh bien, c'est Giscard qui a dirigé personnellement les opérations : penché sur la carte de la ville zaïroise qu'il avait fait
Weitere Kostenlose Bücher