Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

s’en aille rencontrer Saddam Hussein à Bagdad. Pauvre ambassadeur : il me semble terrifié par la guerre, car, pour lui, ce serait le retour obligé en Irak et le départ de Paris où il se sent si bien – et à l’abri !
    Je me rappelle la conversation téléphonique que j’avais eue avec lui (conversation qui devait être écoutée et dans laquelle il se livrait à de fausses confidences) après le retour de Poivre d’Irak avec un garçonnet dans ses bagages. Je n’ai jamais su si l’ambassadeur ne me servait pas un boniment bien ficelé pour éviter de passer, lui et les services secrets irakiens, pour des imbéciles !
    Aujourd’hui, il me sert peut-être un autre boniment en me laissant entendre que la solution de paix passe par la France et par Roland Dumas.
    Et puis, finalement, tout cela a l’air de tourner court : Dumas n’est pas parti pour Bagdad. Et maintenant il est trop tard. Le terme de l’ultimatum est fixé à demain.
    Pendant tout ce temps, la France s’est préparée à la guerre : depuis l’été dernier, elle n’a cessé d’augmenter ses forces dans le Golfe, étape après étape 5 . Nous voici donc à la veille de l’expiration de l’ultimatum. Rien n’est arrivé qui puisse arrêter la machine.
    Nous pensons donc que l’opération militaire se déclenchera dans la nuit.
    Nous décidons, dans ce cas, de prendre l’antenne et de ne pas lalâcher. Après tout, c’est un événement mondial. Aurions-nous des hésitations que CNN les balaierait.
    Donc, nous avons préparé le générique des émissions spéciales « Tempête du désert », puisque c’est ainsi que s’appelle l’opération prévue. Comme CNN, et comme toutes les chaînes de télévision au monde. Et nous prendrons l’antenne en direct : ce sera la première guerre de ce genre.

    Fin janvier
    D’une manière sourde et insidieuse se poursuivent les remous de l’affaire Urba. Malgré les coups de boutoir de la droite, notamment de Philippe de Villiers depuis plusieurs mois, le parquet d’Aix-Marseille continue à attendre les instructions de la Chancellerie pour ouvrir une enquête, ou, au contraire, fermer les yeux. Le gouvernement ne pourra pas persévérer longtemps dans sa stratégie de l’autruche : ne rien voir, ne rien faire, la tête dans le sable. De tous côtés, l’affaire des fausses factures émerge : à Marseille, l’inspecteur Gaudino a mis la main sur les carnets de Joseph Delcroix, un militant du PS qui consignait soigneusement les opérations plus ou moins louches, et l’affaire Urba enfle de jour en jour.
    Tout cela vient certes de la difficulté à financer des campagnes politiques. Mais à cette échelle, tout de même ! On n’attendait pas des socialistes qu’ils soient fascinés, démolis, tourneboulés à ce point par l’argent. À tort ou à raison, les mêmes choses, venues de députés ou d’hommes politiques de droite, auraient moralement moins de retombées. Peut-être est-ce le fait d’avoir passé vingt-trois ans dans l’opposition : il est évident que, lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, les socialistes n’ont eu de cesse que de vouloir y rester. Terrible nature humaine – qui est peut-être uniquement celle de l’homme... pas de la femme ! On n’a pas vu encore de femmes élues (il y en a) mettre la main dans le tiroir-caisse.

    15 janvier
    Rien à signaler, comme disait Louis XVI juste avant la Révolution. L’ultimatum est dépassé, pas d’opération militaire aujourd’hui. Cela veut-il dire que le processus s’est enrayé, ou bien que la guerre est pour demain ?

    17 janvier
    Dans la nuit, décalage horaire aidant, nous avons su que les opérations commençaient. J’ai donc rejoint TF1 pour prendre l’antenne avec Gérard Carreyrou vers 6 heures du matin. Pour nous, le choix de cette heure matinale présente l’avantage de laisser les ténors de l’antenne, Jean-Pierre Pernaut et Patrick Poivre d’Arvor, à leur horaire habituel. À 6 heures, donc, nous commençons. Pas la moindre image de l’opération en cours. Dominique Bromberger fait des prodiges avec le peu qu’il a. Il n’a pas son pareil pour mettre les choses en perspective tout le temps nécessaire pour que nous puissions assurer les liaisons avec les correspondants en poste au Moyen-Orient.

    19 janvier
    Giscard, qui était resté discret jusqu’à maintenant, intervient : il demande vigoureusement que les forces armées françaises ne se bornent pas à