Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
évacuer le Koweït et portent le conflit armé sur le territoire irakien. « Est-il légitime, a-t-il demandé aujourd’hui sur l’antenne d’Antenne 2, de frapper l’agressé et d’épargner l’agresseur ? » Il a posé la question : comment aurait réagi les Français libres, en dehors ou sur le sol français (il n’a pas prononcé le nom de De Gaulle), si les forces américaines avaient reçu l’ordre de frapper la France et pas l’Allemagne ? Selon lui, l’intervention en Irak même est nécessaire : il faut aller détruire sur leurs sites, dit-il, les fusées, les armes chimiques et peut-être même les armes atomiques de Saddam.
Évidemment, il s’agit là d’une intervention destinée à mettre le doigt sur les contradictions internes de la politique du pouvoir en place, et à opposer Jean-Pierre Chevènement, qui a limité au Koweït l’intervention française, à Mitterrand, qui, dans sa récente conférence de presse, n’a pas exclu d’aller au-delà.
27 janvier
L’amiral Jacques Lanxade à « 7 sur 7 ». L’Élysée a jugé utile d’envoyer à l’antenne, devant les Français, un militaire en grand uniforme, et pas n’importe lequel : le chef d’état-major particulier duprésident de la République, plus convaincu de la nécessité de faire la guerre à Saddam Hussein que ne l’est Jean-Pierre Chevènement.
L’intervention de Lanxade a pour objet de mettre un terme à la polémique ouverte la semaine dernière par Giscard : la France envisage-t-elle ou pas, dépassant l’objectif de la libération du Koweït, d’envoyer ses forces, aux côtés des Américains, en Irak ? Avec lui les choses sont claires : oui, les troupes françaises pourront pénétrer en Irak ; oui, la phase aérienne se continuera par une phase terrestre.
Dépêcher un officier général pour parler de problèmes stratégiques et politiques, c’est un camouflet infligé au ministre de la Défense, ou je ne m’y connais pas.
29 janvier
Ça y est : Jean-Pierre Chevènement a démissionné. Je m’y attendais depuis quelques jours, surtout depuis avant-hier. Je pensais même qu’il le ferait plus tôt, au début des opérations.
Terrible, pour un ministre de la Défense, de démissionner au moment de la guerre ! Je pense qu’il aurait dû le faire en décembre, lorsqu’il a dit à Mitterrand qu’il en avait l’intention, et ne pas laisser ce dernier choisir à sa place le moment de son départ. Dans l’opinion, cela va faire un foin du tonnerre dont il risque de ne pas se relever.
Sa lettre de démission est courte, paraît-il – trois paragraphes –, et commence par ces mots : « Une certaine idée de la République m’amène à vous demander de bien vouloir me décharger des fonctions... » Je n’en sais pas plus.
Tout son cabinet l’a suivi. Philippe aussi, évidemment.
On me dit que si Mitterrand suit les Américains, c’est qu’il craint que la France, autrement, soit exclue du règlement de l’après-crise 6 . C’est ce qu’il avait expliqué en Conseil des ministres à la mi-décembre dernier : « Si nous sommes absents des engagements, avait-il alors déclaré, nous serons absents du règlement du conflit. » Je suis sûre qu’il y a eu là un élément déterminant dans la stratégie de Mitterrand.
Pour Chevènement et ses proches, ce n’est là qu’un prétexte. Mitterrand colle aux Américains parce qu’il est pro-américain, voilà tout. Le reste, pour eux, n’est qu’un habillage.
5 février
Mitterrand a décidé de rencontrer régulièrement, jusqu’à la fin des opérations, des journalistes par fournées à l’heure d’un petit déjeuner tardif, vers 9 h 30. Je note ici le compte rendu rédigé à la fin de notre entretien.
La guerre, selon lui, devrait se terminer fin mars. Le plan initial de bombardement, révèle-t-il, prévoyait trois semaines à un mois de combat. « Nous sommes encore, dit-il, dans ce schéma. »
Sur la polémique ouverte par Giscard autour des buts de guerre, Mitterrand est clair : « Je n’ai jamais compris, dit-il, la position de Chevènement. La différence qu’il introduisait entre le Koweït et l’Irak m’a toujours paru vaine et arbitraire. S’il s’agit de libérer le Koweït, comment ne pas s’en prendre à l’armée irakienne ? L’objectif est donc d’abord la libération du Koweït, mais il faut également, par la suite, que jamais plus aucune menace de l’armée irakienne ne
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