Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

pas pu intervenir dans la zone des combats, mais uniquement dans un lieu choisi – et surveillé – par l’armée.
    Une seule consolation : les télévisions du monde entier en sont réduites aux mêmes expédients – à l’exception notable de CNN dont la correspondante a pu rester à son poste à Bagdad et qui dispose manifestement de plus d’images que nous.
    Pendant toute la période où nous avons diffusé en information continue, les animateurs ont discouru à perte de vue devant une carte du Golfe, montrant de temps en temps des images de CNN à Bagdad et interrogeant des experts militaires, généralement des généraux à la retraite dont les commentaires ont été très mal accueillis par l’Élysée.
    À intervalles réguliers, les journalistes du monde entier faisaient le tour des capitales : que se passe-t-il à Bagdad, à Tel-Aviv, à Washington, à Moscou, à Riyad ? Une guerre sans images.
    Je ne sais plus quand, la semaine dernière ou il y a dix jours, le CSA est intervenu pour demander à toutes les rédactions de spécifier, par une mention « incrustée » en permanence à l’écran, que les images diffusées étaient soit des images visées auparavant par les services d’information des Armées, soit des images d’archives.
    Je continuerai demain, il est trop tard pour cette nuit !

    7 février
    Nouvelle intervention de François Mitterrand : il répond sur toutes les chaînes aux questions posées par Dominique Bromberger, Georges Bortoli et Jean-Marie Lefebvre. Il prépare les Français à une seconde phase de l’opération : la guerre terrestre. « Nous entrons dans une phase difficile », dit-il.
    C’est Jean-Marie Lefebvre qui a posé la question que tout le monde attendait sur l’emploi éventuel des armes chimiques par Saddam Hussein en cas d’entrée sur le territoire irakien des armées alliées.
    « Ce que fera l’Irak, je le sais ! », a répondu Mitterrand, qui a ajouté : « Saddam Hussein n’a pas caché son intention. »
    Il laisse donc entendre une fois de plus, cette fois sans le dire tout en le disant, que Saddam emploiera les armes chimiques. Quant à la France, précise-t-il, elle n’en utilisera pas.
    Qu’est-ce qui pourrait marquer la fin de la guerre, a demandé Bortoli : la libération du Koweït ou bien l’anéantissement du régime irakien ? Réponse claire de Mitterrand : pour lui, il s’agit que le Koweït soit complètement évacué et que l’armée irakienne ne soit plus en mesure de le menacer, un point c’est tout. La France n’ira pas au-delà.

    8 février
    Il faut dire les choses telles qu’elles sont : une sorte de frénésie nous emporte tous à l’idée de cette guerre en direct dont nous ne retransmettons pas la réalité. Le seul problème, à mon sens, est non pas l’absence d’images, mais le souci de ne pas nous faire piéger par la propagande. En fait, s’il y a une propagande, elle est en quelque sorte négative : pas d’images, et surtout, ce qui me gêne davantage, pas de points de vue discordants.
    J’essaie, sans illusion, d’inviter Chevènement à l’antenne : sans succès, et sans même pouvoir le joindre directement.
    Je m’adresse plusieurs fois à Claude Cheysson dont la position n’a jamais été favorable aux opérations militaires contre l’Irak, et qui me le redit en privé à la fin janvier ; il refuse néanmoins d’en parler à la télévision, arguant que la France est en guerre et que, désormais, il ne dira plus un mot.
    Je vais vite, car je n’ai guère le temps d’écrire la nuit, et que desurcroît, vu les heures auxquelles je travaille au petit matin, je m’endors dès 10 heures du soir.
    Que dire, sinon que le tapis de bombes américaines sur l’Irak continue, tandis qu’en Israël chacun s’attend à voir une pluie de SCUD s’abattre sur Tel-Aviv. De temps en temps, nos correspondants en Israël et en Arabie saoudite font état de tirs de roquettes en provenance d’Irak. Nous n’avons aucune information sur les opérations de guerre. Où sont les armes chimiques ? Les Irakiens comptent-ils s’en servir pour riposter, mais quand ?
    Nous avons fini par interrompre l’antenne en direct. Le problème a été de ne pas abandonner les premiers et de ne pas laisser la Cinq 10 seule sur le créneau de la guerre. Dans tout cela nous nous sommes faits sérieusement rappeler à l’ordre pour un reportage assez réjouissant de Patrick Bourrat qui rompait