Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
d’instituts de sondage comme Jérôme Jaffré, des sondeurs comme Gérard Le Gall, le connaissaient et l’appréciaient. Son mariage avecClaude Chirac, il y a quelques mois 21 , l’avait fait entrer dans une famille, et surtout auprès d’un beau-père dont il ne partageait souvent ni les analyses ni les objectifs politiques.
Garder son indépendance d’esprit était sa grande préoccupation. Et, plus encore, démontrer que ce n’était pas parce qu’il avait épousé Claude Chirac qu’il était devenu le porte-parole de Chirac. Il lui était cependant difficile de trouver la bonne distance entre provocation et sens de la famille.
À ce propos, il avait proféré, le 4 février dernier, une appréciation désagréable pour Balladur. Il avait déclaré sur France 3 que Balladur incarnait à ses yeux la « République bourgeoise », l’accusant de « non-représentativité sociale ». Ce qui avait horriblement embarrassé Chirac dont personne ne voulait croire qu’il n’avait pas téléguidé son gendre...
Apparemment, les relations entre les jeunes mariés, dont je ne sais rien, étaient fortement marquées par l’implication personnelle de Claude auprès de son père. D’ailleurs, c’est elle qui avait démenti les propos de son mari sur Édouard Balladur, quinze jours plus tard, par l’intermédiaire d’un journal, les qualifiant d’« immatures et déplacés 22 ».
Tout de même, je me dis qu’assister à l’enterrement de son gendre, devoir consoler sa fille – même si le mariage battait apparemment de l’aile après l’explication de février dernier – et affronter les questions des journalistes, doit être plus que pénible à Chirac au moment précis où il met lui-même en piste Édouard Balladur.
Ne pas souhaiter aller à Matignon est une chose. Envoyer quelqu’un à sa place, le voir applaudi, fêté, félicité, en est une tout autre.
16 avril
Quel calme, d’un coup, dans la vie politique française, si heurtée depuis deux ans ! Les réunions se succèdent à Matignon dans un ordre parfait. Les délégations se croisent, tout le monde a l’air d’être content en sortant. Pas croyable !
Et puis, quelques petits signes, aussi, qui aèrent les esprits, mêmesi, à certains égards, ils peuvent paraître relever de la démagogie. Je pense par exemple aux mises en garde faites aux ministres sur l’utilisation systématique des avions du GLAM. Balladur leur recommande de prendre, dans la mesure où leur travail n’en serait pas affecté, les avions de ligne d’Air France. Même chose lorsqu’il recommande – j’ai oublié en quels termes exacts – d’alléger les menus gouvernementaux. Un plat, un dessert : ça suffit !
Plus symbolique que réellement nécessaire ? Peut-être. Pourtant, l’opinion est plus que favorable à tout ce qui restreint le train de vie des ministres, surtout à un moment où la France compte trois millions de chômeurs et deux millions au moins de travailleurs précaires.
17-18 avril
Je me suis plongée ce week-end, pour rédiger ma chronique du Nouvel Économiste , dans la lecture du dernier livre d’Édouard Balladur, le Dictionnaire de la réforme . Je dis le dernier, parce qu’il a été publié en octobre 1992, mais je ne suis pas sûre qu’il n’y en ait pas eu un autre depuis lors, ou en même temps. Car cet homme aime écrire : c’est son sixième livre publié depuis le premier, L’Arbre de mai , chronique de Mai 1968 vu depuis Matignon. En octobre dernier, j’avoue que j’ai parcouru distraitement ce « Dictionnaire ». Aujourd’hui que son auteur est Premier ministre, je le relis ou plutôt je le lis d’un œil différent. À l’article « Capitalisme populaire », que je crois être capital dans la pensée politique de Balladur (il nous en a beaucoup parlé de 1986 à 1988), je trouve : « Bon exemple de réforme progressive. Sur une génération, elle peut conduire à un changement des mentalités, pour peu que soient surmontés le scepticisme ou l’obstruction de ceux qui se résignent au statu quo ou qui ont intérêt à le voir se perpétuer. » À l’article « Maastricht », écrit donc quelques semaines après l’adoption ric-rac du traité, je lis : « Objectif louable, servi par trop de complications et de prétentions technocratiques. »
Je note au fil de la lecture son plaidoyer pour la concertation, afin de « faire évoluer sans à-coups les structures de la
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