Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
société », son scepticisme vis-à-vis du consensus (« Au-delà d’un accord minimum sur l’organisation de la société, il n’y a pas de consensus »), et puis, surtout, parce que cela revient souvent dans son livre sous des formesdifférentes, cette idée que la réforme prend du temps, que « le jugement populaire doit être suffisamment différé pour qu’elle puisse être appréciée », que les réformateurs qui échouent sont en général ignorants de l’Histoire, « myopes sur l’avenir, étrangers aux aspirations de leurs concitoyens ».
À l’article « Rêve », je lis : « Si nul n’espère que les choses peuvent aller mieux qu’elles ne vont, à quoi bon parler de changement ? »
D’un livre à l’autre, je note qu’il se construit un personnage différent de celui, mondain, qu’a décrit pendant la première cohabitation une partie de la presse, et pas seulement Le Canard enchaîné : un homme qui réfléchit, qui écrit et s’y complaît, un homme convaincu derrière des allures de dilettante. Un homme persuadé qu’on peut réformer la France à condition de ne pas brusquer les Français : Patience et longueur de temps : c’est le titre d’un livre-interview réalisé avec Jean-Pierre Elkabbach en 1989. Un leader politique de droite qui croit dans la nécessité d’un État régulateur, tout en revendiquant la primauté de l’individu 23 .
Je lis tous les portraits de lui publiés par tous les hebdomadaires. J’y trouve beaucoup de choses sur son comportement, son côté toujours tiré à quatre épingles, même à l’autre bout du monde. J’y lis la confirmation de son amour des cigares, de la montagne, de la famille, de la ponctualité. J’y lis l’analyse de la métamorphose de cet homme longtemps resté dans l’ombre, dans celle de Pompidou, puis dans celle de Chirac, aujourd’hui en pleine lumière. J’y apprends ou réapprends que le premier article jamais écrit par Édouard Balladur dans Le Monde avait trait justement à la « cohabitation », mot qu’il a en quelque sorte inventé 24 . Si ce n’était pas de la prédestination, c’était de l’intuition.
La lecture de ses livres me permet d’affirmer, à l’issue de ce week-end studieux, qu’Édouard Balladur s’est préparé depuis longtemps à être un acteur important, sinon capital, de la vie publique. Il l’a fait avec méthode et presque préméditation : il ne se serait pas donné autant de mal pour écrire s’il n’avait pas voulu donner un cadre, et surtout un écho à sa réflexion.
18 avril
Très bon sondage (IFOP- Journal du dimanche ) pour Édouard Balladur. Il enregistre une popularité qu’aucun Premier ministre avant lui n’a atteint : il devance largement celles de Pierre Mauroy et de Michel Rocard à l’époque de leur nomination, et enfonce Jacques Chirac : il obtient 20 points de plus que lui en 1986 à l’issue du premier mois à Matignon.
La Sofres explique pourquoi 25 : les électeurs de gauche ont été en grand nombre – un tiers environ –, séduits par la déclaration de politique générale de Balladur. Le sondage est réalisé avant l’émission « 7 sur 7 » dont le Premier ministre est ce soir l’invité.
Je remarque d’abord, comme sans doute la grande majorité des téléspectateurs, la superbe veste rouge d’Anne Sinclair, encore plus étincelante que d’habitude. Les choses ont beaucoup changé depuis les années 1970 : tout se passait alors à l’Assemblée nationale. Aujourd’hui, tout se passe à la télévision, qu’il s’agisse de « L’Heure de vérité » ou de « 7 sur 7 ».
Balladur paraît mal à l’aise au début, presque intimidé, comme si c’était la première fois qu’il participait à une émission de ce genre, ce qui n’est évidemment pas le cas. Sa gêne ne dure pas. Dès les premières phrases, il redevient lui-même, à l’aise, sinon expansif.
Non, il ne flotte pas sur un petit nuage rose, comme le lui demande Anne Sinclair, il est heureux d’être Premier ministre, mais surtout anxieux, pénétré de la responsabilité morale qui lui incombe. Vers qui se retourneraient les Français qui ont voté pour la nouvelle majorité s’il échouait ?
Le plus intéressant est la définition qu’il donne de lui-même : il n’aime pas « les disputes », il est néanmoins « attaché à ses convictions », ce qui n’est pas incompatible en période de cohabitation.
À propos de
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