Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
brutale, difficile. Les politiques monétaires allemande et française évoluant de façons diamétralement différentes, Bonn relevant ses taux pour stopper l’inflation, Paris ayant besoin d’abaisser les siens, ces divergences amènent à une spéculation monstre sur le mark contre le franc, spéculation que beaucoup, dans le camp balladurien, ont imputé en partie, non sans une certaine mauvaise foi, aux propos tenus par Séguin sur l’« autre politique », en juin dernier.
Pendant quelques jours, Chirac est resté coi. Il s’est donné le temps d’intervenir. « Après tout, me dit Jacques Toubon, c’est lui, le futur candidat à la présidence de la République. Il n’a pas à intervenir sur-le-champ lorsqu’une crise monétaire se déclenche. Tout ce qu’il dit sera retenu contre lui. C’est précisément pour cette raison qu’il n’a pas voulu aller à Matignon : pour ne pas avoir le nez dans le guidon, ni être pris dans la quotidienneté de l’actualité politique et économique. On ne peut pas lui reprocher d’avoir pris son temps avant de publier son communiqué ! »
Car Chirac a bien publié, au moment choisi par lui, un communiqué de soutien à la politique d’Édouard Balladur. Un peu tardif, certes. Un peu conventionnel. Il y fait néanmoins « personnellement confiance au Premier ministre pour conduire l’œuvre de redressement déjà bien engagée ».
12 août
Suite et fin annoncée, « en sifflet », de la crise monétaire 43 . Comme chaque été, Édouard Balladur est parti en vacances dans son chalet de Chamonix. De sa terrasse d’où il voit la mer de Glace, il répond aux questions de Paul Amar pour France 2. Chamonix, cela veut dire, assure Paul Amar, le lieu aux « versants raides ». Très bonne transition pour Balladur, qui reprend le thème des « versants raides » pour qualifier la situation de l’économie française. Il explique qu’il a dû prendre des mesures difficiles, impopulaires, dont la réforme d’une partie du régime des retraites. Les Français, assure-t-il, ont très bien compris qu’il fallait remettre de l’ordre, que l’avenir de la protection sociale était en jeu. Il promet qu’il n’y aura pas d’autres augmentations l’année prochaine. Il espère, dit-il, qu’il pourra avancer sur la réforme de l’impôt sur le revenu et alléger les charges qui pèsent sur les ménages. Il annonce avec méthode son calendrier : réunion le 17 août sur la loi quinquennale sur l’emploi ; réunion le 23 août pour passer à la deuxième phase de son action ; conférence de presse le 24 ; réunion le 6 septembre avec les organisations syndicales.
Puis il parle du chômage : il ne considère pas que sa politique en est responsable, puisqu’il existait avant lui. Il sait néanmoins que laFrance ne pourra supporter longtemps 10 % de chômeurs. « On me dit : le chômage, vous n’y pouvez rien 44 . Je ne peux m’y résoudre. La finalité du pouvoir n’est pas d’y rester, mais d’améliorer les choses... Notre devoir impérieux est d’avoir une gestion qui mette le pays à l’abri des grands risques de ce monde : la dépression et le chômage. »
Sa préoccupation est de conjurer la crise monétaire sans détruire la protection sociale française. À propos de cette crise, il regrette que les spéculateurs aient choisi d’affaiblir le système monétaire européen 45 .
Sur ses relations avec Chirac, il fait mine de s’étonner. Tout Paris bruisse de la dégradation de leurs rapports après la crise monétaire. Elles sont bonnes, elles sont excellentes, assure Balladur. D’autant qu’il sera, lui, en dehors de la compétition présidentielle jusqu’à la fin de 1994. Je me demande la signification exacte de cette phrase : cela veut-il dire qu’après décembre 1994, il se sentira libre de faire ce qu’il veut ?
Interview très intéressante, que je ne peux que résumer sommairement ici. Enfin, l’essentiel y est : Édouard Balladur est méthodique, organisé, volontaire. Quand Chirac l’a poussé à être Premier ministre à sa place, mesurait-il toutes ses qualités ?
16 août
Il doit vraiment rigoler, François Mitterrand, au spectacle de Philippe Séguin, muet comme une carpe après avoir lancé son engin explosif, de Jacques Chirac essayant de trouver sa place, dans une situation qu’il a lui-même voulue, entre Mitterrand et Balladur.
Le Président a choisi le quotidien Sud-Ouest ,
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