Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Yvelines, réquisitionnée à cet effet. Autour de Balladur et de Chirac, il y a là Méhaignerie, Pasqua, Bernard Pons, Charles Millon ainsi que Roger Romani et Pascal Clément 41 .
La révision constitutionnelle n’étant qu’une formalité, je repars pour Paris sitôt après le déjeuner.
21 juillet
À Versailles, je ne l’apprends qu’aujourd’hui, le spectacle n’a pas été dans l’hémicycle, mais à la préfecture des Yvelines. Il y a eu, pendant le déjeuner, un échange acidulé entre Jacques Chirac et Balladur. Entre les deux hommes, l’ombre de Philippe Séguin était là.
Résumé des épisodes précédents : après la sortie de Philippe Séguin en juin, Balladur attendait, paraît-il, un soutien de Chirac. Je trouve Bernard Pons, que je suis allée voir aujourd’hui à l’Assemblée, tout émoustillé, une lueur amusée dans son regard très bleu. Il m’a raconté comment les choses se sont dégradées au RPR après le discours de Séguin. Balladur s’attendait à ce que Jacques Chirac le soutienne face aux attaques du président de l’Assemblée. Il s’est senti attaqué, Chirac ne l’a pas défendu, Balladur en a été blessé.
Est-il vrai que Balladur ait dit à Chirac, il y a quelques jours, comme l’a écrit Le Monde aujourd’hui : « Je considère que vous auriez dû condamner les propos de Philippe Séguin » ? Qu’il l’ait dit ou pas, on n’a entendu de Jacques Chirac aucune condamnation des propos de Séguin, aucune rectification, ni aucun encouragement à Balladur. Susceptible comme l’est ce dernier, il semblerait que le silence de Chirac ait été pris comme une sorte de lâchage. Ce qui explique la déclaration de Balladur, le 15. Le Premier ministre en a conclu que Philippe Séguin et Jacques Chirac ont finalement agi de concert. Il a rendu coup pour coup.
« C’est vrai, confirme Bernard Pons, Édouard Balladur a été convaincu de la complicité entre Séguin et Chirac. De vous à moi, a-t-il tort ? »
Si ce n’est pas de la complicité, me fait-il encore remarquer, c’est tout au moins un intérêt commun qui rapproche les deux hommes. Car en proposant une autre politique aux Français, Séguin sait qu’il n’embarrasse pas Chirac, mais qu’il renforce plutôt la position de ce dernier vis-à-vis du Premier ministre : il lui permet de démontrer que le RPR n’est pas un mouvement monolithique, que la présence du maire de Paris est nécessaire pour sauvegarder le rassemblement, qui a fait la force du mouvement gaulliste, entre les différentes tendances – souverainiste, sociale, libérale – du RPR.
Retour, après ce résumé de la période qui précède, sur ce qui s’est passé pendant le déjeuner du 19 juillet. D’après le récit qui m’en est fait, la conversation entre les convives de la majorité a d’abord traità la suppression des IUFM 42 telle qu’elle figurait dans le programme du RPR en 1993. De fil en aiguille, Jacques Chirac a embrayé sur les réformes à faire : il les trouve trop lentes, il a demandé à Balladur d’accélérer le rythme. « Il ne faudrait tout de même pas, a-t-il lancé devant tous les convives, qu’on dise : Balladur et Bérégovoy, c’est la même chose !
– Je vous en prie, Jacques ! », aurait alors simplement répondu, du ton dont on rétorque « Laissez tomber ! », le Premier ministre, choqué et vexé par les paroles du chef du RPR.
Lorsqu’on connaît la susceptibilité d’Édouard Balladur – et Chirac la connaît bien –, on ne lui parle pas ainsi devant les leaders de la majorité. En tête-à-tête, peut-être, et encore...
23 juillet
L’« incident », comme on dit pudiquement, entre Chirac et Balladur a fait un foin du tonnerre. Du coup, Chirac effectue un rétropédalage à grande vitesse. Il me téléphone, comme, je suppose, à une bonne dizaine de journalistes, pour dire qu’il s’agissait d’une conversation détendue entre professionnels de la politique, rien de plus. Il m’assure que, la prochaine fois, il se contentera de parler de la pluie et du beau temps. Et puis, me dit-il, perfide (je n’ai pas retenu l’expression exacte, mais son sens), comment pourrait-il faire un coup pareil à Édouard Balladur qui, sans lui, n’aurait jamais franchi les portes de Matignon ? Ce n’est pas pour saboter son action maintenant, non ?
6 août
Il est vrai que la crise du franc, qui a marqué la dernière quinzaine de juillet, a été
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