Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

donc pas candidat. Qui le souhaitait vraiment ? Pas même lui, sans doute, après s’être rendu compte qu’il avait plus à risquer qu’à gagner.
    « Petite conférence de presse pour rien, me dit à la sortie Philippe Alexandre, toujours caustique, pour faire le Président . »
    À ce propos, je note la petite phrase de Balladur à Alexandre, que celui-ci me transmet à son tour : « Lorsque je passe une heure avec François Mitterrand, lui a dit Balladur, je m’amuse beaucoup plus qu’avec Giscard d’Estaing. »
    26 août
    Dans l’avion qui nous conduit à Bonn où Édouard Balladur va rencontrer Helmut Kohl au sujet des négociations sur le GATT, le Premier ministre rend visite, à l’arrière de l’appareil, à la meute des journalistes qui l’accompagnent à l’étranger pour la première fois. Nous lui demandons s’il sera ferme sur le GATT et sur Blair House.
    « Oui, nous répond-il ; dans la vie, il y a des moments où on ne peut pas rester dans le vague. Le calendrier nous presse... Nous n’acceptons pas, martèle-t-il, le pré-accord de Blair House, négocié par la Commission sur un mandat vague datant de 1990, qui n’a jamais été entériné par le Conseil des ministres des Douze. »
    Voilà ce qu’il va dire à Kohl tout à l’heure.
    Tandis qu’il continue à se prêter à nos questions, il laisse entendre (« Mais surtout ne le mettez pas dans ma bouche ») qu’Alain Juppé serait la meilleure tête de liste pour les européennes de 1994. Les raisons ? 1) Il conduit, pour le compte du gouvernement, la politique européenne de la France ; 2) L’alternance entre RPR et UDF serait respectée : la dernière fois, Valéry Giscard d’Estaing a été candidat ; cette fois, il serait bien que le candidat soit RPR ; et 3) Il est le mieux perçu par les gaullistes, évidemment.
    Quant à la réforme constitutionnelle sur le droit d’asile, elle est rendue nécessaire par la décision du Conseil constitutionnel de censurer une partie de la loi votée en juillet. « La question, dit-il, est de savoir si nous pouvons formuler la loi autrement, pour éviter l’écueil. Les juristes me disent que c’est impossible. Donc, il faut bien en passer par une révision de la Constitution. Enfin, j’aurai un texte lundi sur mon bureau, on verra bien. »
    Existe-t-il un conflit possible avec le Président sur ce sujet ? « Je dirai que je ne le souhaite pas. » Petite phrase bien dans le style Balladur.
    Je le trouve très critique, très caustique à l’égard de Jacques Chirac. Quand je lui demande comment celui-ci a pensé à Alain Juppé pour les élections européennes, il ne résiste pas au plaisir de me répondreque c’est lui, Balladur, qui l’a proposé, pas Chirac ! « Il est tout à fait d’accord, naturellement. Il m’a même semblé qu’il a dit, quelques semaines plus tard, que c’était son idée. »
    Et que se sont-ils dit, Chirac et lui, lors de la cérémonie pour le 49 e  anniversaire de la libération de Paris, à l’Hôtel de Ville ? Réponse : « Nous ne nous sommes pas parlé. Je lui ai demandé le nom d’un acteur qui lisait un des textes sur la Libération, et il a trouvé moyen de se tromper ! »
    À 14 h 15, conférence de presse de Kohl et de Balladur à la Chancellerie allemande. Après avoir évoqué les convergences entre Français et Allemands, Kohl en arrive assez vite au GATT. Il n’est pas hostile à un compromis et attend les propositions du Premier ministre français. « L’Europe doit se doter d’un instrument de politique commerciale, souligne Balladur. Nous allons y travailler ensemble. »
    Cela ne mange pas de pain. La seule chose certaine, c’est que la rencontre ne s’est par terminée en un claquement de porte.
    Dans l’avion du retour, le Premier ministre ne cache pas sa bonne humeur. Sur le fond des conversations franco-allemandes, Balladur a ce communiqué de victoire : « Vous venez d’assister, dit-il, à l’acte de décès de l’intangibilité des accords de Blair House ! » Pourquoi cela ? Parce que, nous dit-il, le chancelier allemand est convenu, au cours de leur rencontre, de maintenir que « le préaccord de Blair House comporte certains problèmes ». Balladur pense non sans contentement que les paroles de Kohl sont de bon augure. C’est un premier pas qu’il s’enorgueillit de lui avoir fait faire.
    « Je commence à être un expert en cohabitation, lui a dit Kohl en