Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
défi au mauvais sort. Il s’assied donc et continue la conversation en répondant aux questions.
A-t-il été informé par le gouvernement de la libération des deux Iraniens ? « J’ai été informé sans aucun doute, mais après. Pas avant... » Il n’en fait pas un problème : « C’est, ajoute-t-il aussitôt, dans l’ordre normal des choses, cela relève de l’ordre public et c’est donc du ressort du gouvernement. Donc, je n’accuse pas. Je réponds simplement à votre question. »
Sur la Bosnie et ce qui se passe là-bas entre Serbes et Bosniaques, quels mots emploierait-il ? Lancinant, décourageant ? « Tout à fait, dit-il avec gravité, lancinant et décourageant. L’horrible répétition d’un drame humain devient épouvantable. »
La célébration du 50 e anniversaire du débarquement aura lieu en juin. Court la rumeur insistante d’une invitation faite par le gouvernement au président de la république d’Ukraine. « Je n’en sais rien, je connais l’essentiel de la liste des chefs d’État conviés à célébrer le débarquement. Je serai sûrement mêlé à l’examen de la réponse. » LesAllemands en feront-ils partie ? « Les Allemands ont connu depuis cinquante ans les atroces moments d’une guerre perdue. Ils en ont subi les conséquences collectivement, et ils peuvent s’étonner aujourd’hui de rester en dehors d’une cérémonie faite pour célébrer ce grand événement. »
Un courageux se lance : « Crevez-vous d’envie de poursuivre les journalistes qui, commentant le rapport de Thierry Jean-Pierre, parlent, vous concernant, de cadeaux et de largesses ? » Réponse acide : « Si on considère comme un cadeau le fait qu’il y a vingt ans j’ai reçu des honoraires ! Ce ne sont pas des cadeaux, je ne suis pas amateur de cadeaux, et j’ai donné tous ceux que j’ai reçus. »
On passe aux choses sérieuses et qui fâchent moins : la présidentielle de 1995. Qui soutiendra-t-il ? Il ne prononce même pas le nom de Michel Rocard. « Mes vœux iront vers celui-ci plutôt que vers celui-là. » Il ne dira rien de plus aujourd’hui : « Ce n’est pas de circonstance, ce n’est pas le moment. »
Florence Murraciole pose la question, attendue, sur la cote de popularité d’Édouard Balladur. Il fait mine de ne pas vouloir répondre. Puis il lâche sur un ton uni : « M. Balladur a des mérites. Le peuple les reconnaît. Mais il est un homme suffisamment expérimenté pour connaître la fragilité de ce genre de choses. L’opinion est souvent versatile. Laissez faire les choses, on verra bien. »
Dire que ses propos sont chaleureux serait trop dire. C’est le premier coup de patte public du président à l’adresse d’Édouard Balladur. Ce qui confirme que Mitterrand est désormais sûr que le Premier ministre va se présenter à la présidentielle. Dans l’équilibre que les deux hommes avaient su établir depuis le printemps dernier, les choses changent. De toute façon, assure Mitterrand, la cohabitation dure ou douce, « c’est une invention de journaliste. Quand je ne suis pas d’accord, je le dis, voilà tout ».
7 janvier
Vœux d’Édouard Balladur à la presse. Dehors le ciel est noir. À l’intérieur, il y a presque davantage de monde qu’il n’y en avait avant-hier chez Mitterrand. Il est vrai que l’un finit sa carrière, quand l’autre la commence. On se bouscule au voisinage de buffets fournis. Le Premier ministre passe d’un salon à l’autre, saluant tous ses invités, rassurant et souriant.
De ce qu’il dit je retiens qu’il s’engage personnellement dans la lutte contre le chômage, et qu’il demande à être jugé sur ses aptitudes à y parvenir.
Tout a changé en quelques jours pour lui. Hier encore, avant les déclarations de Simone Veil et de François Léotard, Édouard Balladur était sur un petit nuage ; les sondages étaient un peu moins bons qu’il y a quelques mois, mais beaucoup néanmoins s’en seraient satisfaits ; les députés RPR étaient certains, les pauvres, que Chirac et lui marchaient la main dans la main ; certes, ils ressentaient une légère irritation, mais jamais exprimée en public, du fait de la pression exercée sur lui par Chirac. Avec le silence bienveillant du président de la République, tout baignait dans l’huile.
Il a suffi que sa candidature soit soudain dans l’air du temps pour qu’une véritable coalition se constitue aussitôt contre
Weitere Kostenlose Bücher