Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
lui. François Mitterrand a condamné très clairement la loi Bayrou avant-hier. Jacques Chirac, qui présentait lui aussi ses vœux à la presse à l’Hôtel de Ville, a soutenu l’école publique agressée. Philippe Séguin y a été de son ode à la laïcité. Michel Rocard, qui ne parle pas beaucoup, ces temps-ci, a recouvré assez de voix pour qualifier de « duplicité et de brutalité » l’action du Premier ministre.
Au fond, peut-être qu’il s’en fiche, Balladur. Les sondages remontent : il progresse de trois points dans le baromètre L’Express -Gallup France.
Je reviens un instant sur les vœux de Chirac, hier. Quelle différence avec ceux de Balladur ! On ne s’écrasait pas chez lui, nous n’étions que quelques-uns – Paul Guilbert, Elkabbach, Levaï, Philippe Alexandre, Catherine Nay – à avoir répondu à l’invitation du maire de Paris. Quelle foule, par contraste, à Matignon ! En revanche, le discours de Chirac m’a paru assez vide. Admettons qu’il se réserve pour la campagne.
10 janvier
Léotard, comme l’escargot, pousse sa feuille de salade : le meilleur président serait à ses yeux Édouard Balladur. Il ajoute qu’il se présentera lui-même si celui-ci ne le fait pas. Voilà qui donne raison aux préoccupations de Charles Pasqua : s’il n’y a pas de primaires au sein de la majorité, cela va être la foire d’empoigne ! Encore que, plus j’y pense, moins je vois comment on pourrait contraindre Balladur ouChirac à se soumettre à la décision de quelques-uns exprimée, on ne sait au juste comment, à l’occasion d’élections primaires internes à la majorité. Chirac m’a dit l’autre jour qu’il ne l’acceptera jamais, et je vois mal Édouard, si susceptible, si attaché à sa propre personne, se soumettre au jugement, fût-ce exprimé au suffrage universel, des adhérents des deux partis majoritaires.
J’ai dîné aujourd’hui avec Jean Poperen qui m’a fait rire à gorge déployée en me racontant comment, dans la querelle de l’école laïque, il avait fait intervenir l’archevêque de Lyon, le cardinal Ducourtray.
Vieux militant de la laïcité, ancien communiste, sans doute franc-maçon encore qu’il ne m’en ait jamais parlé, redevenu député de Meyzieu, dans l’Ain, proche de Lyon, Poperen a eu l’idée de préparer un numéro spécial de sa revue, Vu de gauche , sur l’abrogation de la loi Falloux. Un peu comme Mitterrand l’avait fait lors de ses vœux, en s’abritant derrière une conversation qu’il avait eue en 1984 6 avec le cardinal Lustiger, Jean Poperen a eu l’idée de demander à Ducourtray de publier un texte dans sa revue. À sa grande surprise, celui-ci a accepté d’écrire quelques lignes qui ont dépassé les espérances de Poperen : « J’aurais aimé, écrit le prélat, que soit étudiée plus paisiblement la question, simple en elle-même, mais piégée dans le contexte politique actuel. »
Poperen se frotte les mains : il est ravi de son coup.
Il est moins ravi, en revanche, de l’évolution du Parti socialiste. Il juge, comme Pierre Mauroy, que le big-bang de Rocard a tourné court, que la lutte des courants est plus vive que jamais, même s’il y participe. Là est bien le paradoxe de tous ces socialistes : ils sont les premiers à dénoncer les clans, les courants, les tendances, et les premiers à vouloir être chefs de bande !
Ah, nous parlons avec Poperen des temps bénis du monolithisme communiste ! Comme cela devait être commode, de tenir un parti ! Il est vrai que, même chez les communistes, le monolithisme n’existe plus...
13 janvier
Il s’est passé avant-hier, dans l’indifférence générale, quelque chose de grave entre Balladur, ou plus exactement Michel Roussin, ministre de la Coopération, et Jacques Chirac. Les chefs d’État et de gouvernement de la zone franc ont décidé de dévaluer de 50 % la parité du franc CFA par rapport au franc français. Je n’aurais même pas remarqué cette dévaluation, annoncée en présence du ministre français, Michel Roussin, et du directeur général du FMI, si Jacques Toubon ne m’en avait parlé aujourd’hui : « En acceptant que Roussin prenne la Coopération, Chirac était convenu avec lui que le franc CFA ne serait pas dévalué. Il y était personnellement hostile. En outre, il avait pris cet engagement auprès d’un certain nombre de chefs d’État africains. Cela n’a pas empêché Michel Roussin de
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