Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
toute façon battu. Les électeurs n’aiment pas les tickets. Et Balladur ne savait pas lui-même, lorsqu’il est entré à Matignon, quel impact il aurait sur l’opinion publique. Je vous rappelle qu’il avait quitté la rue de Rivoli, en 1988, avec une image déplorable dans cette même opinion. Comment voulez-vous qu’il ait pensé à jouer les sondages contre Chirac dans ces conditions ? »
Il n’a vraiment pas le moral, aujourd’hui, Pasqua. Il soupire : « L’électorat va finir par être écœuré. La majorité ne remontera plus la pente à partir de ce moment-là. Les Français penseront que nous sommes indignes de gouverner. Qu’ils aillent se faire foutre, diront-ils, et ils auront raison ! » Un temps, puis : « Delors, lui, ne fait peur à personne. »
Il reprend : « Certains bons esprits, dans l’entourage du Premier ministre (il parle de Nicolas Sarkozy), lui demandent de ne se déclarer qu’en février. Je leur dis : en mai, tant que vous y êtes, ce serait beaucoup mieux ! Non, en réalité, conclut-il, s’il se déclare après le 15 janvier, il peut rester à la maison. Car c’est maintenant que l’opinion est en train de se faire. Si Balladur ne se déclare pas, il sera trop tard. »
Je ne résiste pas à lui poser cette question : si Balladur est à l’Élysée, Pasqua sera-t-il à Matignon ? Mais c’est un trop gros poisson pour mordre à l’hameçon.
« À moins que je ne sois ambassadeur à Washington ? » plaisante-t-il.
Serait-il néanmoins candidat au poste de Premier ministre ? « Je serai candidat, oui, mais à la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine. »
Il s’en tire par une pirouette, mais ne pense qu’à cela.
Je me rappelle ce que m’a dit Philippe de Villiers, l’autre jour : que Pasqua aurait en réalité envie de rouler pour lui, c’est-à-dire de risquer la candidature à l’Élysée. Je n’y avais pas cru. Aujourd’hui, pourtant, je constate que derrière sa bonhomie, sa rondeur, il est en train de devenir une sorte de super-star de la politique. Il joue d’ailleurs à merveille de son personnage haut en couleur, de son accent à la Fernandel, de son talent oratoire méridional mais incontestable. Résultat : les téléspectateurs l’adorent, ou du moins le regardent, l’audimat en fait foi. Les vieux gaullistes le considèrent comme un des leurs, certes un peu trop populiste mais qui, à propos de l’Europe, a dit tout haut, en 1992, ce qu’ils pensaient tout bas. La preuve : quoiqu’absent pour cause de balladurisme, il a été ovationné sur la pelouse du parc de Reuilly, il y a quinze jours, par les fans de Chirac qui ont compris – et pardonné – ses raisons. Son image diffusée en même temps que celle des autres dirigeants gaullistes (l’état-major de Chirac n’avait pas eu le temps de faire refaire le film) a été saluée par des tonnerres d’applaudissements, alors que celle de Philippe Séguin, absent lui aussi, a été accueillie par un silence de plomb.
Une raison supplémentaire, me semble-t-il, de cette popularité, ilest vrai surtout marquée à droite : en plaidant jusqu’au bout pour des primaires entre les différents candidats de la majorité – peut-être sans y croire lui-même depuis belle lurette –, il est apparu comme le symbole et la garantie du mouvement gaulliste. Quoi qu’il arrive, il sera, l’automne prochain, celui qui aura mis Chirac et Balladur en garde contre la division du RPR. Il sera aussi celui qui, si Jacques Delors est élu, pourra toujours dire que c’est la faute à ceux qui ont divisé la majorité.
J’ajoute qu’au surplus, il amuse à gauche. Il fallait le voir, la semaine dernière, à l’anniversaire de la création du Nouvel Obs , à la Pyramide du Louvre, où il s’est payé le luxe de saluer Taslima Nasreen à laquelle il avait refusé l’entrée en France, quelques jours auparavant.
À propos de gauche, juste une information dont je n’ai pas encore vérifié la valeur : un soir de ce mois-ci, Jacques Chirac a été l’invité d’un club d’intellectuels situés plutôt à gauche, qu’anime Régis Debray. L’association porte le beau nom de « Phares et balises » et se réunit une fois tous les deux ou trois mois. Chirac en a profité pour se lancer dans un couplet très anti-élitiste, à la limite de la provocation. Régis Debray lui a du coup parlé d’une note, provocatrice elle aussi, rédigée par un
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