Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
principe à la candidature. À la fin du mois d’août, une interrogation relayée par ses proches : qu’est-ce que j’irais faire dans cette galère ? Et puis l’énumération de tout ce qui pourrait le dissuader de tenter l’aventure : l’Europe, qui a encore besoin de lui ; le Premier ministre qui, tout compte fait, est un bon Premier ministre ; les socialistes, qui ne l’ont jamais vraiment aimé ; sa famille, qui voudrait bien le récupérer ; et enfin cette douleur lancinante dans le dos, qui ne le quitte plus, et le repos auquel il aurait bien droit.
Alors que j’étais convaincue qu’il ne se présenterait pas, le voici, cette semaine, devant micros et caméras, et à la une du Monde ! Est-ce pour lever l’ambiguïté, pour dire oui ou non au destin présidentiel ? Pas du tout : il s’agit de présenter un gros livre-interview, mi-Mémoires, mi-réflexions, qui révèle celui qu’il est devenu aujourd’hui, inquiet des fractures sociales, indigné par l’exclusion – dont je note que, dans cette campagne, elle indigne tout le monde –, révolté surtout par la résignation à l’exclusion.
Au-delà de cette valse-hésitation, si j’étais à la place de Delors, je me poserais effectivement la question de l’orientation actuelle du PS autour d’Henri Emmanuelli. Le premier secrétaire a beau dire qu’il n’a pas de couteau entre les dents, qu’il accepte l’économie de marché, il n’en souligne pas moins la défaite électorale des socialistes dits « modernes » comme Michel Rocard. Il ne le clame pas, mais tout le monde comprend : derrière Rocard, il y a Delors. Est-ce le moment, vraiment, de donner un coup de barre à gauche toute, quand il n’existe plus qu’un seul candidat socialiste capable d’être élu à la présidentielle et que celui-ci joue au centre gauche ?
18 novembre
Longue conversation avec Philippe de Villiers qui m’assure que Charles Pasqua est aussi dans les starting-blocks. Le ministre de l’Intérieur pense en effet, m’assure Villiers qui le connaît bien depuis leur campagne anti-Maastricht, que les deux candidats en piste, Chirac et Balladur, finiront épuisés par leur course. Il pense alors avoir une chance. « Dans ce cas, me dit Villiers, je ne me présenterai pas, et même je roulerai pour lui. Et s’il n’y va pas, j’irai ! »
Il me raconte que le 3 novembre dernier dans l’après-midi, il était à l’arrêt en plein dans un embouteillage, à Cholet, lorsque Chirac l’a appelé dans sa voiture. C’était à la veille de son interview au journal La Voix du Nord pour lui faire part de sa candidature. Quelques instants plus tard, alors qu’il avait parcouru à peine quelques mètres, Nicolas Bazire l’a appellé à son tour. « Avec la candidature de Chirac, le rythme va s’accélérer à partir de maintenant, dit Villiers à son interlocuteur.
– Ah bon ? lui dit Bazire en éclatant de rire. Parce que vous y croyez ? C’est de l’intox ! »
Toujours sarcastique, Villiers ajoute cette anecdote à propos de Michel Roussin. « Croyez-vous à une inculpation de Roussin ? » demande Villiers. « Pas le moins du monde, répond Bazire. Pas avant plusieurs mois. » Roussin a été mis en examen deux jours plus tard.
Coïncidence : après Villiers, j’ai rendez-vous avec Nicolas Bazire à Matignon. Nous parlons de qui ? De Chirac, pour changer. À vrai dire, les difficultés entre Chirac et Balladur ont commencé beaucoup plus tôt que je ne l’avais pensé. Dès le lendemain de la formation du gouvernement, en 1993, le maire de Paris a protesté contre le choix de tel ou tel ministre. Il avait bien été informé, au début, des démarches préludant à la constitution du gouvernement, mais, par la suite, Balladur n’a pas jugé bon de l’informer des impossibilités des uns et des autres, donc des changements inhérents à tout exercice de ce genre.
Cela s’est vu, m’assure Bazire, dès le premier dîner offert par Chirac et son épouse à l’Hôtel de Ville au couple Balladur, après la nomination de ce dernier à Matignon. « Chirac faisait déjà la tête parce qu’il n’avait pas été assez consulté. Il avait même pensé annuler le dîner. Nicolas Sarkozy a dû appeler Claude Chirac pour arranger les choses. Il est vrai – je l’ai entendu moi-même – qu’il téléphonait tous les jours à 20 heures au Premier ministre. Et puis il s’est lassé. »
Nous parlons
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