Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
aujourd’hui : « Si j’avais vingt ans de moins, je saurais comment les battre. » Il me répond en levant à peine l’œil : « Si ça lui fait plaisir de le croire... »
Lorsque l’un de nous essaie de lui en tirer davantage sur Jacques Chirac, il s’irrite dès la première question. C’est dans cette partie dela conversation qu’on le sent à la fois le plus vulnérable et le plus concerné. Quelle a été la première crise survenue entre eux ? Il n’hésite pas une seconde : la crise monétaire de l’été 1993 a servi de révélateur.
Nous n’en tirerons rien de plus pour aujourd’hui.
Vendredi 20
Pasqua arrive sur le coup de 7 h 30 à RTL en me confiant qu’il a eu une insomnie pendant la nuit. Je me rends effectivement compte qu’il n’est pas dans son assiette. Il vient sans doute de comprendre qu’il s’est officiellement rallié à Édouard Balladur sans en tirer aucun bénéfice, qu’il a renoncé à se présenter lui-même parce qu’il n’avait pas les atouts en main, bref, qu’il n’a rien gagné à faire mouvement vers Balladur, ni pour son image personnelle, ni pour son avenir. Je lui demande s’il a ou non négocié un poste de Premier ministre. Manifestement, il n’a obtenu aucun engagement de la part du candidat. « De toute façon, je ne crois pas aux promesses », répond-il, l’œil triste.
22 janvier
Raymond Barre à « 7 sur 7 ». Quand a-t-il pensé que Balladur allait se lancer dans la bataille présidentielle ? Réponse : « Quand j’ai vu la composition de son gouvernement en 1993, je me suis dit qu’il avait des arrière-pensées. » Traduction : lorsqu’il a vu notamment que le nombre de ministres issus de l’UDF était légèrement supérieur à celui des ministres RPR, et que Balladur se lançait donc dans une vaste opération de séduction auprès de l’UDF.
J’ai pris peu de notes, car, depuis longtemps déjà, je pense que les chances de Raymond Barre sont passées, qu’il n’aurait aucun intérêt à s’immiscer dans la course présidentielle, entre Édouard Balladur et Jacques Chirac qu’il n’aime ni l’un ni l’autre. On me dit que lui-même y a en revanche beaucoup songé. Balladur lui a tiré le tapis sous les pieds. Plus d’espace pour Raymond Barre !
24 janvier
Avec François Hollande, nous cherchons quand, à quel moment on a pu penser que Balladur allait jouer la présidentielle. Il me raconte que le jour même de la constitution du gouvernement Balladur, François Mitterrand a dit à quelques amis, dont il était : « Balladur ne pense qu’à une chose : être candidat. Eh bien, il le sera. » La perspective d’une rivalité Chirac-Balladur le réjouissait d’avance.
25 janvier
Déjeuner avec Valéry Giscard d’Estaing. Très intéressant pour comprendre ce qui restera longtemps une interrogation politique majeure, historique presque : entre Balladur et Chirac, le malentendu, la double méprise, la trahison de l’un, la naïveté de l’autre... Tout cela mettant le monde de la majorité cul par-dessus tête, parce que la situation oblige à ce qu’aucun parlementaire, aucun élu, aucun ministre n’aime faire : choisir.
Valéry Giscard d’Estaing raconte que lui aussi a essayé de mettre en garde Chirac : la scène se passait le 23 janvier 1993, donc bien avant les législatives et alors que les relations entre l’ex-Président et son ancien Premier ministre s’étaient tant bien que mal arrangées, la rancune de 1981 étant allée à la rivière.
Ce jour-là, Jacques Chirac a confié à VGE son intention de ne pas aller à Matignon. Giscard l’a alors mis en garde : « Votre stratégie est absurde ; si le gouvernement réussit, le Premier ministre sera candidat. S’il échoue, vous serez entraîné dans sa perte. » Réponse de Chirac, toujours la même : « Vous avez tout à fait raison, mais vous ne connaissez pas Balladur. »
Ce qui est piquant, dans cette conversation, c’est que Giscard, quelques semaines avant l’échec de la gauche en 1993, donc quelques mois avant cette conversation avec Chirac, se serait bien vu, lui, à Matignon. Et qu’on peut en être sûr : il n’aurait pas « chauffé la place » pour Chirac. Les résultats électoraux en ont décidé autrement : l’UDF a eu, aux dernières législatives, moins d’élus que le RPR ; Matignon revenait donc au parti majoritaire au sein de la majorité. Mais il s’en est fallu d’un
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