Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
l’effondrement du monde communiste et à la remise en question, partout dans le monde, des principes essentiels du socialisme ; sur lequel s’est abattu de plein fouet la crise économique et morale de nos sociétés développées. Ces épreuves ont été telles qu’elles ont conduit un ancien Premier ministre battu à se suicider au bord d’un canal, dans la Nièvre, par un 1 er mai ensoleillé. Et qu’elles ont, dans les vingt mois qui ont suivi, conduit Michel Rocard à jeter l’éponge et Jacques Delors à refuser l’engagement.
Après tout cela, l’heure était peut-être venue de réfléchir. En tout cas, de cesser le feu. C’est le contraire : tout le monde brandit son arme, et les couteaux sont loin d’être restés au vestiaire.
Je me pose encore la question à laquelle je n’ai pas de réponse (mais qui l’a ?) : même si je le sais hostile à la candidature éventuelle de Lionel Jospin, Mitterrand est-il en mesure de réagir ? A-t-il encore son mot à dire ? On ne m’ôtera pas de l’esprit que s’il avait reçu Delors quand il le fallait, celui-ci aurait peut-être pris une tout autre décision. Ou bien préfère-t-il que ce soit quelqu’un de droite qui lui succède ? Il aura alors démontré que dans ce monde chaotique de la gauche, il aura été, au XX e siècle, le seul à réussir à s’imposer ?
C’est peut-être ainsi qu’il convient d’interpréter l’arrivée, dans le camp de Chirac, de l’ex-communicateur en chef de Mitterrand, Jacques Pilhan. Il fallait bien qu’il vive, certes, mais tout de même... chez Chirac !
4-5 février
Offensive chiraquienne dans le pré carré choisi par Balladur. À l’issue de son comité directeur, le CNI, dont je croyais qu’il n’existait plus depuis des années, s’est rallié à Chirac.
Pour la première fois, au congrès de l’UDF réuni à Marseille, Jean-Pierre Raffarin prend le parti du maire de Paris contre le Premier ministre. Il a dit : « La grande question de la campagne est de savoir si Édouard Balladur se met dans le camp du changement ou dans celui du conservatisme. »
Je ne suis pas à Marseille, puisque réquisitionnée dimanche par l’émission « RTL/ Le Monde », à laquelle je participe et dont l’invitéest Charles Pasqua. L’occasion est évidemment trop bonne pour ne pas lui mettre la citation de Raffarin dans les pattes. Il s’irrite et essaie d’appeler le RPR à une unité bien compromise : « Dans ce pays, le vrai débat, dit-il, il est entre les socialistes et nous, il n’est pas entre Chirac et Balladur, entre Raymond Barre et Édouard Balladur, entre Valéry Giscard d’Estaing et Édouard Balladur ! Dire qu’il y a un choix de société entre Édouard Balladur et Jacques Chirac, c’est prendre les Français pour des imbéciles. »
8 février
Primaires à gauche entre Jospin et Emmanuelli lors du congrès extraordinaire du PS. Il n’y a pas eu photo : les militants ont été consultés démocratiquement – un homme (ou une femme) = une voix. Ils ont accordé 65 % des voix à Jospin. Pourquoi celui-ci a-t-il gagné ? Les sondages ont fait leur œuvre, là aussi. Impossible de sortir de là : à quelques semaines de l’élection, les militants ont voté pour le plus efficace. Jospin n’a pas été désigné parce qu’il était un ancien lieutenant de Mitterrand, encore moins avec le soutien de François Mitterrand et de ses amis ; il a été, avant même le vote des militants, désigné par les sondages d’opinion qui, dès son entrée en lice, en janvier, lui ont accordé des scores inattendus. D’autant que, dans ces mêmes enquêtes, Henri Emmanuelli, premier secrétaire rogue et peu complaisant avec la presse, n’a jamais brillé.
Donc, Jospin a gagné. Parce que c’était le plus déterminé. Parce que, derrière sa volonté, il a su faire oublier aux militants, en déclenchant presque de l’enthousiasme dans leurs rangs, leur double frustration, encore cuisante : l’abandon forcé de Rocard et l’abandon volontaire de Delors.
L’entrée en campagne de Jospin change tout, même s’il est candidat presque par défaut. Et d’abord deux choses :
À un moment donné, et encore tout récemment, j’ai pensé que cette élection se jouerait entre Balladur et Chirac, faute de candidature crédible à gauche. Qu’on allait retrouver la configuration de 1969 entre Poher et Pompidou. Même si Jospin n’est pas « charismatique », il a du
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